
Pardonnerons-nous un jour à ceux que nous aimons de mourir ? Ils partent, ils nous laissent seuls avec l’empreinte de leur amour creusée dans nos coeurs, ils partent, égoïstes, et là, le manque. Pardonnerons-nous à la vie de nous faire monter en charrette vers la guillotine, de nous faire monter sur un bateau sachant bien qu’au bout il y a la chute d’eau, les rochers en bas, toutes ces métaphores clichées battues et rebattues. Je n’arrive pas à pardonner. Je n’arrive pas à pardonner aux gens qui s’en vont sans que j’ai pu leur dire tout ce que je voulais leur raconter, sans que j’ai pu chercher au fond de leur yeux s’ils valent la peine que je me charge de toute cette douleur et peigne mon coeur du noir du deuil, que j’ai pu regarder le fond de leurs prunelles et chercher. Chercher quoi, je ne sais pas. Chercher ce qui m’accroche, m’attache. Le chercher, le trouver, le comprendre, pour enfin, sans regret, lâcher prise. Nos morts ne nous laissent pas lâcher prise : ce n’est pas leur intérêt. «Vous souviendrez-vous de nous, si nous vous donnions la paix ? Nous aimerez-vous encore, si vous avez pu ne pas souffrir pour nous ?». Au fond, peut-être ont-ils raison. Peut-être la douleur doit-elle subsister en nous, de plus en plus ténue au fil du temps, mais rester malgré tout, comme le petit caillou qui nous gêne parce qu’il a réussi à se faufiler dans notre chaussure. C’est sûrement mieux ainsi.
Je conserve de la mort une souffrance, facilement maîtrisable et que j’envoie au fond du grand placard qu’est ma tête quand elle s’avise de pointer son nez. Je conserve de mes morts une souffrance. J’aimerais pouvoir me dire qu’ils sont les étoiles, leur image auréolée du givre d’argent éternel de Sirius, dans les bras de la douce Cassiopée. Je perds leurs voix. Je me ne rappelle plus, le son familier, l’écho chaleureux se disperse dans l’infini glacé du vide stellaire. Si ce n’est pas le vent qui fit virevolter le drapeau de Neil Armstrong, pourquoi pas nos morts qui nous feraient signe ? Pourquoi pas cet univers vide et infini comme paradis ? Tentons d’embellir la faucheuse, de teinter sa cape de bleu et la parsemer d’éclats de diamants, baisser son capuchon et détacher sa chevelure d’ébène, essayer de trouver un soupçon de bon au fond des yeux noirs de néant. Essayer de se rassurer, un peu. De chasser la peur. Un peu.
La fleur de cerisier emprisonnée dans le givre. Le souvenir. Toujours aussi beau qu’avant. Même dans cette mort qu’on essaie de rendre plus belle, ou plutôt moins effrayante, moins douloureuse. Tendre la main pour rattraper une image, pour ressentir le frisson de tristesse et de joie, pour stopper en plein vol une larme cristalline. Nous ne faisons plus de libations, nous pleurons. Peut-être qu’à faire de pleurs, la terre qui recouvre les tombes, nourries de tant d’émotions fertiles, ferait fleurir des fleurs de pourpre et d’or, aux pétales compliqués comme le chagrin et le coeur des hommes. Des fleurs qui elles, ne mourraient jamais. Pourrait-on me dire pourquoi de telles fleurs n’existent pas ? M’en dessinerez-nous, comme l’aviateur fit un mouton au Petit Prince. Je le ferais se détacher du papier et s’incarner. Si cela peut exister, alors ce jour je n’aurais plus peur de la mort. Dessine-moi une fleur immortelle, brise le vase de cristal clair qui contient mes larmes, laisse-les s’envoler vers le Soleil et essuie ma joue comme de pluie trempée, de la joie de me dire qu’un jour la mort ne sera plus qu’un souvenir.
Flowers, Val_z.
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