mardi 29 décembre 2009

Hello, hello, I take you on a trip

Une journée et une nuit rien qu'à nous, dans mon appartement déserté pendant les vacances. On a fait des courses, j'ai préparé des crêpes : on a vite renoncé à aller au restaurant, parce qu'on était mieux tous les deux devant la télé, mangeant des crêpes façon pizza, avec du chorizo. La première est ratée, j'ai oublié de mettre de l'huile dans la poêle ; "Je suis trop bête.  -Mais non, c'est pas grave, c'est la première, elle est toujours plus ou moins loupée". Mais on était si bien, tout paraissait tellement aller de soi, ensemble, des choses banales, profondément banales. 


Vient déjà l'heure de repartir ; sous une pluie battante, la ville nous regrette, et nous la regrettons.
Je t'aime.

dimanche 27 décembre 2009

Le corbeau

IF YOU WANT BLOOD, YOU'LL GOT IT.
Je suis sanglante et trébuchante.
Ma propre violence ici.
Eclat grenat.
Inconnu.
Tu ne
t'en
sortiras
pas comme
ça.

vendredi 25 décembre 2009

"Papa Noël quand tu descendras du ciel, du fun, du Zoprac et des ailes"


"Les progrès de la société, ce n'est pas seulement l'argent, bien manger, avoir chaud ; les gens ont des aspirations, ils ont besoin de libertés". Liu Xiaobo.

Poussière d'étoile sur les branches de mon sapin, petit oiseau bleu de givre et porcelaine, soufflé de verre, capture et caprice de flammèches de vie translucide. Câline assise devant la crèche guette les centons, et elle seule les verra sortir de leur sommeil de pierre, s'animer et fêter eux aussi Noël, après une année au fond d'un carton. Eclats de blanc, pépite de bleu, une fantaisie en sol majeur.

Pour cela, j'aime Noël. J'aime cette attente excitée, à force de voir les cadeaux sous le sapin sans avoir le droit de les ouvrir : alors, je fais la table avec maman, on choisit la nappe, le chemin de table et les verres, cette année, c'est or et argent, des petites étoiles et des fées dorées parsemées. "Qu'est-ce que je peux faire encore ?" je demande, je n'arrive plus à attendre. "Tu peux allumer toutes les bougies". Et après ça, c'est la préparation des apéritifs ; je fais des crevettes au curry, et des roulés au bacon, je m'occupe les mains, je m'occupe la tête, je pourrais ouvrir tous les cadeaux, même ceux qui ne sont pas à moi, juste les ouvrir, arracher le papier de fêtes les mains tremblantes. Un pendentif, un pyjama, une boîte de chocolat, une paire de collants, un porte-clef, des petites choses qui me feraient presque pleurer comme une gamine, tellement j'aime ça, Noël. En plus, tout le monde aime mes apéritifs, alors c'est décidé, la semaine prochaine, je ferai un moelleux au chocolat.

On l'attendait tellement, c'est déjà terminé. Ne peut-on pas mettre sur pause, un instant ? Juste le temps que je boive mon kir à la violette et que j'embrasse mes grands-parents.
Chut, écoutez la neige tomber dans mon coeur...

vendredi 18 décembre 2009

A propos des éruptions solaires à la surface du soleil.

J'ai en moi une force de frappe jamais utilisée encore.
C'est une violence dont la porte ne s'est pas encore ouverte, une boîte de Pandore.
Hier soir en pleurant j'ai lâché tous mes mots, ils étaient secs et durs comme du silex qu'on broie. Je suis une vipère.

mardi 15 décembre 2009

Les mardi sont éternels

Nos mardi soirs du chat se font désormais avec un vrai chat.
Douce comme ses yeux verts de mousse, ma Câline.

Et puis.
Audrey et sa folie musicale, forme comme fond.
Priscillia comme les confins du monde connu.
Bernadette, ses cheveux, des fleurs d'ébène.
Amandine, des prunelles, noisettes flamboyantes.
Moi. Juste petite moi.


Dans notre appartement tout se réveille le mardi soir.

vendredi 11 décembre 2009

XX


J'suis toute nue sous mon pull.

Folie proustienne

Regardez-vous en face, et pensez un peu à nous.
Vous êtes là, nous sommes en face, vous savez et nous ne savons pas. Je crois, ce n'est pas bien.
La réalité, êtes-vous certaine d'y être ? Même moi, je ne saurais le dire. Les lettres, la littérature, ne serait-ce pas au fond un pacte avec le diable ? Une fuite, plus qu'une fuite, bien plus qu'une fuite, qu'une simple fuite, dirait Camus. Un changement de point de vue, renversement en double salto arrière. Rien n'est plus pareil après un Flaubert, un Colette ou un Lagarce. Vous n'étiez pas ce que vous êtes, mais qui êtes-vous réellement ("réellement", nous nous comprenons) ?.

"La vraie vie c'est la littérature".

mercredi 9 décembre 2009

Avec des si on mettrait Paris en bouteille.

***
Si je vivais dans les années 30, je pourrais écouter Casse-Noisette, ce cher Tchaïkovsky, en fumant, dans un tailleur Chanel noir, installée au fond d'une causeuse. Chignon banane et faux air mélancolique. Attendre qu'il rentre, mon Casse-Noisette, mon prince de la vie réelle, retenir mon souffler les quelques instants que met la clef à tourner dans la serrure, acte II Danse Chinoise, et l'étreindre sans retenue.

La poupée malade, ce n'est pas un hasard.
Ah ! Cher, très cher Tchaïkovsky...

lundi 7 décembre 2009

La journée de la jupe.

On ne peut que pleurer devant un tel désastre du genre humain. Ces gosses de 17 ans (je dis ça, je sais, j'ai à peine un an de plus, mais que de gouffres et d'abîmes noires entre eux et moi), ces gosses qui violent une fille à quatre et qui filme, ces gosses qui traitent les filles de putes parce qu'elles portent une jupe, refusent de s'assoir à côté d'elle parce que c'est mal poli, mais qui sont toujours partant pour "baiser", que ce soit oui, ou que ce soit NON.

NON ! Non non non non non non !
Je ne peux pas croire que de tels monstres existent, encore moins qu'ils ont 17 ans et que, plus que probablement, j'en croise un chaque jour, en état d'ignorance totale ; celui-là qui pourrait péter un câble et me violer dans l'impasse du Loup, près de chez moi, sans remords et sans regrets, UN MONSTRE. Ce sont tous des MONSTRES.

Je ne veux pas être professeur et vomir tous les matins avant d'aller en cours.
Je ne veux pas être professeur et me faire menacer par des élèves qui me doivent le respect.
Je ne veux pas être professeur et vivre dans la peur et l'angoisse.
Je ne veux pas être professeur et me faire huer parce que je porte une jupe.

Putain mais où est le respect dans ce monde de MERDE ? Parce que oui, c'est un monde de merde. L'Homme révolté de Camus, c'est moi, je sue la révolte par tous les pores, et je les tuerai tous (NB : noter ici l'emploi du futur simple et non pas du conditionnel). Comment ces gens là peuvent-ils s'en sortir ?

Parce que je n'ai pas supporté de me faire siffler et de récolter des "Eh vas-y t'es trop bonne" lancés d'une voiture vitres ouvertes, parce que j'ai fait un large, un leste doigt d'honneur, pour ça ils se sont mis à m'insulter en arabe ou en turc (je ne sais pas faire la différence, excusez mon inculture). Ai-je mérité ces insultes ? LES AI-JE MERITEES ? J'aimerais avoir une arme et la tenir braquée sur le front de ceux qui m'ont dit cela, savoir pourquoi. POURQUOI ? Putain de merde, j'suis une fille, je fais l'amour comme j'en ai envie, je suis une élève brillante, j'irai plus loin qu'aucun de vous dans cette voiture n'ira jamais bande de connards. Je fais l'amour, je porte des jupes et des robes, j'ai de la lingerie, je porte des talons et des bas, et même des décolletés : c'est pas dans le but de "chauffer" qui que ce soit ; ne confondez pas vos petites pulsions sexuelles de merde avec l'intention des autres. Tous ceux qui pensent comme ça, oui, exactement, TOUS, de n'importe quel âge, couleur, confession, rien à battre, TOUS ne sont rien que des merdeux qui feraient mieux de suivre une psychanalyse, et d'apprendre le respect. Faut-il qu'on vous mettent une balle dans le genoux pour vous faire comprendre ?
FAUT-IL QU'ON VOUS METTENT UNE BALLE DANS LA TÊTE BORDEL ?

Si un jour quelqu'un me viole, j'espère pour lui qu'il aura le bon sens de me tuer ; sinon, je ferais de sa vie un enfer, je lui tirerais une balle dans chaque articulation, l'une après l'autre, jusqu'à ce que cette pourriture crève, je le découperais et je le jetterais aux porcs, pour qu'il retrouve ses semblables. "Oeil pour oeil, dent pour dent", c'est la loi du Talion : je crois que ce châtiment est à la bonne mesure d'un tel acte.

"Propos violents, injurieux" : OUI. Comme un célèbre général français en entrant à l'Assemblée sous les cris de "Assassin, assassin !" répondit :
"Assassin ? Présent".

Ce qui me fait le plus peur, c'est que ces rebuts de l'humanité, ils ne sont pas si rares.

samedi 5 décembre 2009

Memineram


J'aimerais être lue, j'aimerais me dire que j'ai du talent, un talent, même un petit talent, un talent insignifiant et qui ne sert à rien. Et je me dis, de plus en plus, que je n'en ai aucun : j'avais confié à B. des "bouts de papiers" selon ses mots, et selon les miens, quelque chose qui aurait pu être appelé à grandir, et à devenir enfin quelque chose. Je pensais qu'il avait du respect pour cela, et qu'il en garderait, malgré la violence de nos mots. Mais il n'en a jamais eu : "J'sais même pas où ils sont ces trucs. A la poubelle, au fond d'un tiroir, j'men fous".

Ces mots m'ont fait du mal, plus que les autres.
Une épine dans le pied. La blessure était infectée. Depuis longtemps.



Ca ne sert plus à rien de tourner en rond. Aujourd'hui est venu le temps de boire les eaux du Léthé. Des litres, et des litres, et des litres.

Ballet, Ahff.

vendredi 4 décembre 2009

A compléter (...)

La douleur de Troie, la tristesse des autres.

LES VIVANTS
Première plainte : Hélène.

Hélène : La tristesse. Pardonnez-moi. La tristesse, ça me ronge, la tristesse, ça m’arrache les ongles. «Ce qui effleure les autres nous déchire», quelqu’un l’a dit, nous déchire. Me déchire. Les larmes versées pour Troie, par Troie, Hector mort, Priam tué en plein temple : les dieux qui s’amusent et les femmes qui pleurent. Et moi, Hélène, je reste là : je n’ai rien voulu de cela, et j’en suis la cause. La cause, la cause infâme : pour une femme on versa le sang, pour une femme sensée être belle, la plus belle. Suis-je cette femme sublime, moi qui pleure agenouillée dans le palais des rois -des anciens rois- de Troie, l’un mort, l’autre parti, les yeux rouges et gonflés par la peine, la douleur et la colère, les joues creusées des sillons qu’a laissé le soc du Désespoir, les pleurs qui roulent et s’écrasent dans un fracas de pluie d’orage, les lèvres desséchées par le sel amer des regrets, les cheveux emmêlés, comme mes sentiments. Une créature pitoyable, comme les autres : et pour elle on tua au regard des dieux. Personne ne peut être digne de tout ce sang versé.

Elle se lève et s’avance vers la fenêtre : la vitre est cassée, des débris de verre jonchent le sol.

Peut-être devrais-je. Peut-être serais-ce mieux. Pardonnez-moi. La folie me tuera, m’emportera. La tristesse délestée remonte à la surface de ma peau comme un cadavre remonte du fleuve, une vague bleue, une vague noire, un poison qui noircit mon sang. Pâris, sa faute, cet homme qui m’a tant voulue, celui-là, où est-il ? Il a disparu. Mort ou vif, qui s’en soucie ? C’est moi la responsable. Lorsque Horace chantera les femmes viles de l’âge de fer, c’est à moi qu’il pense, à moi qui fit chuter Troie, c’est moi qui assassina ces hommes, femmes, enfants et vieillards, moi qui offensa Zeus en immolant Priam sur l’autel des Pénates. Suis-je cette femme ? Qu’a-t-on fait de moi ? QU’A-T-ON FAIT DE MOI !

Elle saisie le verre à pleine main et le jette contre les murs. Elle saigne.

Ce sang comme tribut de celui qui a été versé. Ma vie peut-elle en être le rachat ? Je fut le glaive contre moi-même, et si je me donne, si je rend ce glaive à Zeus, cela suffirait-il ? On a fait de moi l’origine et la cause. La tristesse me broie la tête, je voudrais hurler, hurler : vide, vide, VIDE ! Qu’ai-je encore pour moi ? Je n’ai plus mes enfants, je n’ai plus mon mari, je n’ai plus de père et de mère chez qui je pourrais me réfugier pour pleurer. La guerre de Troie me laisse comme Thésée laissa Ariane sur les rivages désolés. Je fut aimé, adoré, et je ne suis plus qu’une enveloppe sans vie, témoin d’un avant, d’un passé déjà si loin, alors que le poète qui le chantera ne naîtra pas avant des siècles : je suis comme la dernière des poutres, celle-là, la dernière du palais, vestige de ce temps glorieux, mais enveloppé de poussière d’os. De poussière d’os. Mon visage est blanc comme la craie, de terreur et de la vie que j’ai laissé dans les murs de Troie.

Elle prend son visage dans ses mains, oubliant qu’elles étaient pleines de sang. Lorsqu’elle les retire, son visage ressemble à celui d’un cadavre.

Est-ce moi, ce corps rempli par la mort et la douleur, ce corps au sang d’encre et de poix qui passe mal dans mes veines ? Tout ce que l’on pourra me faire, tout ce que l’on pourra dire sur moi, tout cela n’est rien au regard du mal que je porte déjà en moi. Si la Discorde n’avait pas jeté cette pomme sur la table de banquet des dieux, je pourrais encore me prétendre femme, me prétendre humaine : car même si je fut prise contre mon gré, les morts dans la barque de Charon hurlent tous mon nom, et le passeur ricane. Les Enfers sont remplis de l’écho de leurs voix désincarnées, et je ne puis dormir sans les entendre : «Hélène, tu mourras seule et sans gloire, sans autre sépulture que les rochers d’une grève inconnue, Hélène tu ne passeras jamais le Styx, personne ne paiera ton tribut». Et je ne peux pas dire qu’ils ont tort, je ne peux. Je ne peux pas.

Deuxième plainte : Enée.

Enée : Je suis parti. J’ai été obligé de partir. J’ai laissé Troie, ma cité, ma vie, j’ai laissé mon épouse, morte comme tant d’autres ; j’ai pris mon père sur mon dos et je suis parti. Pourquoi ? Sur le conseil de mânes, de songes envoyés par les dieux, par la porte de corne qui se trouve aux fond des Enfers ; peut-être tout cela n’était qu’une vaste farce, une mauvaise comédie, et que ces visages que j’ai aimés, Hector, mon ami, Creuse, ma femme, ne furent qu’un instant fugace où la brume de la folie passa devant mes yeux. Comme les feux follets qui s’allumaient entre les racines des arbres, la nuit, et qu’enfant je poursuivait en vain. En vain. Cette guerre était vaine. Tant de sang, tant de haine, tant de désespoir et de vies qu’on a tranchées. Je me sens vide de sens, vide de but.

Il s’assoit sur une caisse, dans le coin de la pièce.

Fils de Vénus. Que dois-je faire de cela ? Je n’ai pas pu empêcher tout ça, ce massacre. J’ai tué des hommes, jeunes et moins jeunes, des grecs qui tentaient de passer les murs de Troie, avant que la ville ne tombe. Ces gens, je ne les connaissais pas, je ne les connaîtrais jamais, et quelqu’un ira dire à leurs mères, leurs femmes et leurs enfants qu’Enée, fils d’Anchise a tué leurs fils, leurs époux et leurs pères. Ma main n’était pas faible. Je ne savais pas. Ou plutôt si, je savais trop bien. Je savais trop bien ce que je faisais, et pour ne pas en ressentir toute l’horreur je me suis jeté dans la bataille pour m’étourdir de fureur et de sang, me disant que ce brouillard m’empêcherait de me souvenir précisément, que tout serait enveloppé dans cette brume rougeâtre. Mais non, c’est pire encore maintenant, car j’aurais pu arrêter, j’aurais pu dire stop, mais je ne l’ai pas fais et toute la responsabilité me revient.

Il se lève et va à la fenêtre.

On m’a prédit un destin hors du commun : je dois fonder une cité qui restera à jamais dans l’histoire. Je ne peux me dire, me persuader que je mérite ce qui m’arrive. Au nom de quoi ? Pourquoi moi ? Je ne sais pas. Un jour on viendra me dire que tout cela n’était qu’une mascarade, un tour des dieux pour voir ce que peut donner une fausse prédiction sur un mortel, jusqu’où il est prêt à aller s’il croit avoir une destinée favorable. Je ne sais si je dois les bénir ou les maudire.

Il pointe du doigt un point vers l’Ouest.

C’est là-bas. Là-bas que ce trouve le territoire où je dois fonder cette cité qui m’est promise. Un fleuve y coule, m’a dit mon épouse, les terres sont fertiles et personne ne les possèdent déjà : c’est comme si elles m’attendaient. Je me surprends à espérer. Ah ! Je suis le bouffon de la comédie, celui qui se fait battre et ne comprend pas. Mais, après tout, que puis-je faire d’autre ? Si je reste, je meurs. Si je pars, qui sait ce qui m’attend ? Je peux tout aussi bien mourir, mais peut-être aussi pourrais-je vivre. Peut-être pourrais-je fonder cette ville, et ainsi j’y raconterais la longue histoire de Troie, sa guerre et ses morts, j’y raconterais tout pour que les gens se souviennent, et je pourrais, peut-être, laver tout ce sang qui coule encore sur mes mains, en faisant mémoire de tout ceux tombés à mes pieds. Il faut croire que les dieux sont avec moi. Ma mère est avec moi. Alors j’irai.

Troisième plainte : Cassandre

Qui écoutera jamais les pleurs de Cassandre ? Qui écoutera les plaintes et les gémissements de la pitoyable Cassandre ? Personne. Quelle pire condamnation que celle de ne jamais être crue ? Apollon, soit-disant dieu de la mesure et qui n'en a pas fait preuve, maudit sois-tu : tu m'as donné le don de voir l'avenir car je t'ai aimé, et tu n'as pas pu comprendre que je ne voulais pas me donner à toi, pas encore. Ta colère et ton impatience. Le vrai sacrifice de Troie, ce ne fut pas Hélène, bien sûr que non : ce fut moi. Le destin m'a étreinte comme son amante et m'a étouffée. Quelle image banale, je ne crois même pas au destin.

Elle se lève. Ses jambes sont en sang, ses mains écorchées, sa lèvre tuméfiée.


Mors, mortis.


Pardonnerons-nous un jour à ceux que nous aimons de mourir ? Ils partent, ils nous laissent seuls avec l’empreinte de leur amour creusée dans nos coeurs, ils partent, égoïstes, et là, le manque. Pardonnerons-nous à la vie de nous faire monter en charrette vers la guillotine, de nous faire monter sur un bateau sachant bien qu’au bout il y a la chute d’eau, les rochers en bas, toutes ces métaphores clichées battues et rebattues. Je n’arrive pas à pardonner. Je n’arrive pas à pardonner aux gens qui s’en vont sans que j’ai pu leur dire tout ce que je voulais leur raconter, sans que j’ai pu chercher au fond de leur yeux s’ils valent la peine que je me charge de toute cette douleur et peigne mon coeur du noir du deuil, que j’ai pu regarder le fond de leurs prunelles et chercher. Chercher quoi, je ne sais pas. Chercher ce qui m’accroche, m’attache. Le chercher, le trouver, le comprendre, pour enfin, sans regret, lâcher prise. Nos morts ne nous laissent pas lâcher prise : ce n’est pas leur intérêt. «Vous souviendrez-vous de nous, si nous vous donnions la paix ? Nous aimerez-vous encore, si vous avez pu ne pas souffrir pour nous ?». Au fond, peut-être ont-ils raison. Peut-être la douleur doit-elle subsister en nous, de plus en plus ténue au fil du temps, mais rester malgré tout, comme le petit caillou qui nous gêne parce qu’il a réussi à se faufiler dans notre chaussure. C’est sûrement mieux ainsi.


Je conserve de la mort une souffrance, facilement maîtrisable et que j’envoie au fond du grand placard qu’est ma tête quand elle s’avise de pointer son nez. Je conserve de mes morts une souffrance. J’aimerais pouvoir me dire qu’ils sont les étoiles, leur image auréolée du givre d’argent éternel de Sirius, dans les bras de la douce Cassiopée. Je perds leurs voix. Je me ne rappelle plus, le son familier, l’écho chaleureux se disperse dans l’infini glacé du vide stellaire. Si ce n’est pas le vent qui fit virevolter le drapeau de Neil Armstrong, pourquoi pas nos morts qui nous feraient signe ? Pourquoi pas cet univers vide et infini comme paradis ? Tentons d’embellir la faucheuse, de teinter sa cape de bleu et la parsemer d’éclats de diamants, baisser son capuchon et détacher sa chevelure d’ébène, essayer de trouver un soupçon de bon au fond des yeux noirs de néant. Essayer de se rassurer, un peu. De chasser la peur. Un peu.


La fleur de cerisier emprisonnée dans le givre. Le souvenir. Toujours aussi beau qu’avant. Même dans cette mort qu’on essaie de rendre plus belle, ou plutôt moins effrayante, moins douloureuse. Tendre la main pour rattraper une image, pour ressentir le frisson de tristesse et de joie, pour stopper en plein vol une larme cristalline. Nous ne faisons plus de libations, nous pleurons. Peut-être qu’à faire de pleurs, la terre qui recouvre les tombes, nourries de tant d’émotions fertiles, ferait fleurir des fleurs de pourpre et d’or, aux pétales compliqués comme le chagrin et le coeur des hommes. Des fleurs qui elles, ne mourraient jamais. Pourrait-on me dire pourquoi de telles fleurs n’existent pas ? M’en dessinerez-nous, comme l’aviateur fit un mouton au Petit Prince. Je le ferais se détacher du papier et s’incarner. Si cela peut exister, alors ce jour je n’aurais plus peur de la mort. Dessine-moi une fleur immortelle, brise le vase de cristal clair qui contient mes larmes, laisse-les s’envoler vers le Soleil et essuie ma joue comme de pluie trempée, de la joie de me dire qu’un jour la mort ne sera plus qu’un souvenir.


Flowers, Val_z.

Entre le noir et le blanc


Entre le noir et le blanc.


La pièce vibre au son de la musique. Les notes semblent s’envoler à travers l’espace ; le rythme doux du morceau emplit tout. Elle interprète « La Poupée malade » de Tchaïkovski ; depuis toujours, c’est son morceau préféré, et aussi celui qu’elle joue quand elle est triste. Souvent ce moment. Le jazz, les sambas et les valses de Vienne ont été remplacés par ces accords graves et sonores, à la fois durs et en même temps teintés de désespoir.

Bien droite sur le vieux tabouret recouvert d’un cuir sans âge, elle fixe ses doigts. Elle ne devrait pas le faire ; elle le sait, mais malgré tout cela la rassure. Les anciens conseils de son professeur de musique lui reviennent en tête ; « Ne regarde pas que tes doigts, sinon tu ne retrouveras plus la mesure si tu te trompes ! ». Mais elle regarde ses doigts, et elle frappe les accords en même temps que son pied enfonce la pédale de droite, celle qui permet de faire durer les blanches de la main gauche. Tellement de force, d’émotion, que l’air vibre sous le joug de la musique et le temps lui-même semble trembler devant sa musique ; on pourrait presque voir la petite poupée malade s’avançant sur son fil, désarticulée et maladroite. Arrive la dernière mesure : l’ultime note est frappée. Le son continue pendant presque une minute après que ses mains se soient détachées péniblement du clavier : son pied est resté sur la pédale, et cela sonne comme un glas.

Le son finit par s’éteindre, nécessairement, comme la flamme d’une bougie quand il ne reste plus de mèche. Sa respiration fait plus de bruit qu’un torrent de montagne ; elle meuble un peu le silence oppressant. Ce n’était pas elle ; ça ne pouvait pas être elle. Ses mains reposent sur ses genoux, deux petits animaux fatigués de leur course effrénée sur les touches noires et blanches. Elle les observe : osseuses, petites aux ongles courts et rongés, ce ne sont pas les mains d’une pianiste. La peau est un peu jaune ; on dirait qu’elle est faite d’écailles, ou ridée comme du parchemin. Les mains d’une vieille dame. Elle n’a que seize ans pourtant. Tout juste seize ans. Sa vie est gâchée, détruite, et seule reste la musique, la musique qui transporte, la musique qui enivre le corps et l’esprit comme un verre d’alcool fort, la musique qui soulage, la musique qui permet d’oublier…

D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours joué du piano. Ses parents lui ont racontée un jour qu’ils avaient choisi de lui enseigner cet instrument car elle ne pouvait dormir tranquille sans qu’on lui joue des comptines ; peut-être réussissaient-ils encore à l’aimer en ce temps là. Ils lui ont appris le solfège avant de lui apprendre à lire. Les premiers mots qu’elle a su lire et dire distinctement étaient croches, noires et triolets, fa, do, mi, bémols et dièses. Sa première poésie avait été la récitation des gammes avant de passer au clavier, de do à do dièse d’abord, les gammes mineures ensuite, et ses premières chansons des notes chantées : do do do ré mi ré do mi ré ré do pour « Au Clair de la Lune », et ainsi de suite. Quand les autres petits enfants essayaient de mettre des carrés dans des ronds, on lui apprenait à poser ses doigts correctement sur un clavier et à respecter le doigté d’une partition.

Quand elle avait eu quatre ans, on lui avait appris ses premières partitions : ce n’était au début, que des études, des gammes et des arpèges, ou tout mêlé en exercices. Là ou d’autres musiciens auraient considéré cela comme une corvée, elle y prenait plaisir : cela lui vidait la tête.

Aujourd’hui encore elle aime faire des gammes successivement, et de plus en plus vite : noires, croches, triolets, doubles croches, triples croches…Ses doigts s’agitent à une vitesse folle : le passage du pouce devient presque flou, les touches noires et blanches se confondent. Devant un tel déchaînement, la mélodie change : douce et calme au début, elle était devenue enragée, ses doigts martelant de plus en plus les touches. Et pourtant le visage de la jeune fille reste calme, sans expression : elle ne pense même pas à ce qu’elle faisait, l’esprit vide et blanc, les yeux dans le vague. D’abord la gamme de do, puis celle de sol et de ré, jusqu’à celle de do dièse ; presque essoufflée tellement le ballet des notes l’avait emportée, elle s’arrête. Elle halète d’un coup, l’énergie de son jeu de note lui tombe dessus, et sa respiration n’évoque plus un torrent mais plutôt la mer en colère, le souffle d’une tempête ; l’impression d’être dans l’œil d’un cyclone.

Reposant ses mains sur ses genoux, elle veut se laisser aller en arrière ; mais un tabouret, ça n’a pas de dossier. Elle reprend alors sa posture de toujours, le dos voûté, les vertèbres saillant sous le vieux pull blanc qu’elle porte. Petite, elle ne se tenait jamais droite, et sa mère la rappelait tout le temps à l’ordre quand elle s’installait au piano : une tape, deux tapes, trois tapes dans le dos pendant la leçon, jusqu’à la gifle à la fin, et le buste enfin droit. Sinon, elle s’en fichait. Aujourd’hui, elle est encore voûtée, malgré les conseils, les suppliques et surtout les menaces de sa mère. Mais quand elle s’installe devant son instrument, quand elle joue, elle sent qu’elle s’éleve plus haut que les autres ; elle se sent devenir quelque chose dans le regard de ses parents…Loin d’être un moyen de partager quelque chose avec eux, la musique n’était qu’un moyen d’occuper leur fille à la seule chose qui leur était importante : ses facultés au piano justifiaient son existence.

Sauf quand elle jouait, ils la délaissaient. Elle était pourtant une jolie petite fille qui se conduisait sagement, ramenait toujours de bonnes notes à la maison et n’était jamais insolente : transparente et parfaitement agréable, une nature soumise et sage. Mais pour eux, seule comptait la musique, et d’un revers de main, ils balayaient le reste ; ils ne jetaient qu’un œil dédaigneux sur les bulletins scolaires, et se fâchaient quand elle parlait de faire du sport. La musique : c’était leur seul et unique enfant.

Elle avait toujours su qu’elle n’avait pas été désirée, qu’elle était de ces enfants qu’on appelle des « accidents ». Ses parents n’en avaient pas voulu d’autres, et quand, petite fille naïve, elle leur demandait si elle aurait bientôt une petite sœur, sa mère répondait toujours : « Une comme toi suffit ». Elle croyait sincèrement qu’ils l’aimaient quand même, malgré tout, malgré ça. Mais des parents qui aiment et chérissent leurs enfants ne les enferment pas dans leur chambre passé 20h pour ne rouvrir la porte que le lendemain matin 7h, sans entendre les cris empreints de ténèbres des cauchemars, les coups frappés pour aller aux toilettes ou le désespoir vermeil de la maladie. Combien de fois l’avaient-ils frappée parce qu’elle avait été obligée d’uriner sur le sol. De vrais parents ne font pas ça.

Elle sent la haine qui revient en elle, brusquement ; affolée, fébrile, elle s’efforce de penser à autre chose. Mais l’Autre allait revenir : Elle revenait toujours. C’était Elle, l’Autre, qui avait fait cela. C’était Elle, Elle rien qu’Elle. La jeune fille ferme ses poings si fort que ses phalanges blanchissent et craquent. Quand cela fait trop mal, elle les desserre : la douleur s’évanouit, emportant avec elle la colère et la haine, et laisse ses doigts engourdis. Passant ses mains sur son visage, elle le trouve brûlant, fiévreux. A cause des gammes ?...Ce visage, elle le déteste, elle l’exècre. C’est pour cela que ses parents ne l’aimaient pas.

En vérité, c’est une très jolie jeune fille : un visage de porcelaine, de beaux yeux noisettes et des taches de rousseur sur le nez ; sa figure paraît si fine, comme le reste de son corps, qu’on la croirait brisée au moindre choc. Des cheveux d’ébène, longs et ondulés, donnent un cadre à ce portrait si fragile que Raphaël aurait adoré, et que Léonard de Vinci se serait empressé de durcir pour lui donner du corps. Calme, posée et sans travers, elle semblait tout accepter passivement, sans la moindre colère, sans une once de révolte dans ses yeux doux, presque froids, presque morts ; tout le contraire de sa mère, rousse flamboyante au caractère tout aussi brûlant, qui s’énervait à la moindre vague ; elle ressemble à son père : des cheveux noirs, un visage pâle et cette passivité tranquille, mais qui se transformait en colère sombre et violente chez ce monsieur de petite taille, à force de retenue. Au final, cela revenait au même : elle était leur fille, ils étaient ses parents, ils ne s’étaient pas choisis, et, de n’importe quelle manière, le problème était insoluble. La fatalité familiale.

Quand elle pensait à ses parents, elle n’avait pas grand-chose a dire : elle ne connaissait rien d’eux, ils ne parlaient que de musique. Elle essayait d’écrire leur portrait, tant bien physique que moral : elle trouvait toujours qu’ils manquaient de consistance ; ses parents étaient…vides. Caricatures d’êtres indignes que l’on ne voit qu’au cinéma ou sinistre et triste réalité, la vie ne lui avait pas laissé le choix : ils seraient là pour toujours. Et elle sentait le désespoir que lui inspirait cette idée.

Petite, délaissée de ses parents en dehors des heures de piano, il lui était venu à l’esprit que s’ils ne la prenaient jamais dans leur bras, s’ils ne l’embrassaient jamais, ni ne la câlinaient jamais, cela devait être à cause de ce qu’ils voyaient en elle, sur elle. Lorsqu’on est petit, on ne fait pas attention à cela : on est ce que l’on est. Alors un jour, elle se planta devant le grand miroir de la salle de bain, et se regarda longtemps, les yeux dans les yeux : elle se trouvait plutôt mignonne, comme petite fille ; ni vraiment plus belle que les autres, ni vraiment plus laide, pas vraiment différente : elle ne comprenait pas. Dès lors, elle avait passé toutes ses moments libres devant le miroir : elle s’asseyait et se contemplait des heures durant, encore et encore, essayant de comprendre d’abord, de s’échapper ensuite. Si elle avait lu Alice aux pays des Merveilles, où d’autres histoires, sûrement se serait-elle jetée contre la vitre en espérant, de toute son âme, de toutes ses forces, passer de l’autre côté. Et son reflet , à force de se parler à elle-même, devint son amie : elle lui parlait à voix basse, et l’Autre lui répondait.

C’était bien à ce moment là qu’Elle était arrivée. L’Autre…Elle l’appelait comme ça. Pas la peine de lui chercher un nom, Elle n’en voulait pas. Au début, c’était son amie, une amie qu’elle voyait dans les miroirs, et dans toutes les choses où l’on peut se voir dedans. Mais après, après oui, l’Autre s’était mise à lui souffler des choses à l’oreille : des insinuations perfides, serpent venimeux qui se fait passer pour une ceinture de soie : « Regarde-toi, lui murmurait-elle, tu es laide, oh ! si laide ! On comprend pourquoi personne ne t’aime ». C’était des murmures sournois, des chuchotements insidieux qui restaient ancrés dans sa tête, englués dans la masse des pensées comme dans de la poix noire et gluante. Elle se trouva bientôt affreuse. Elle ne pouvait plus supporter de se voir, mais la petite voix de l’Autre lui demandait de revenir ; et elle riait de sa souffrance. Le reflet ricanait, les lèvres se tordaient révélant des dents qui semblaient des crocs dans cette bouche qui n’avait plus rien d’humain. Elle eut peur de l’Autre, peur de son reflet, d’elle-même ; elle ne s’en trouva que plus horrible encore. Plus jamais elle ne se regarda dans un miroir. Des milliers d’éclats de verre avaient entaillé ses phalanges, et ses mains étaient couvertes de cicatrices : il fallait la faire taire. Mais l’Autre la suivait maintenant partout : les chuchotements étaient dans sa tête, et elle s’entendait parfois dire des choses abominables. L’Autre contrôlait presque tout dans de brefs moments qu’elle regrettait à chaque fois avec plus de remords : elle devenait inhumaine. Peu à peu, l’Autre s’insinuait en elle, comme un poison circulant des le sang, envahissant tout.

L’Autre prenait aussi parfois le contrôle de son corps, et sa propre conscience s’éteignait. Quand elle reprenait ses esprits, elle trouvait des objets brisés, des pages déchirées, et surtout toujours ces mêmes mots inscrits sur les murs : TU ES UN MONSTRE. Les larmes remplissaient sa gorge quand elle les lisait, elle devenait folle, impuissante face au désespoir qui la submergeait devant l’atrocité de ces mots. Elle criait : « Ce n’est pas vrai, tu mens, TU MENS ! ». N’y pouvant plus, elle tombait à genoux, la tête dans les mains, le corps secoué de sanglots hystériques. « Tais-toi ! hurlait-elle. Je ne veux plus t’entendre, va-t-en ! VA-T-EN ! » Sans cesse cette litanie revenait, en sourdine, et parfois elle relevait la tête pour appeler son père, sa mère, quelqu’un ; personne ne venait jamais : elle n’existait pas. Elle effaçait, sa crise passée, les inscriptions ; toujours et encore elle noyait les murs sous des flots de détergents et d’eau de javel ; elle les frottait, rinçait, récurait si fort et si longtemps que ses paumes à vif saignaient, y laissant des traînées rouge pâle. Les cloisons sont blanches et lisses, un bloc opératoire vierge de tout microbe : elles deviennent une chambre d’hôpital, camisole de force de ses pensées. L’air sent continuellement les produits nettoyants et les solvants.

Elle se réveillait souvent avec un horrible mal de tête à force de respirer l’atmosphère viciée. Mais maintenant et depuis six jours, elle n’a plus la force de nettoyer, de masquer tout ça : elle est lasse. Elle a perdu. A l’odeur des puissants détergents et venue s’en ajouter une autre, amère, qui flotte dans l’air comme un nuage de brume, une odeur douce aussi, qui rappelle les origines. Elle ne sait pas ce que c’est. Si, en vérité, elle le sait très bien : la petite voix lui a soufflé depuis longtemps l’odieuse vérité. Elle ne veut pas savoir, elle fait semblant de ne rien voir, de ne rien entendre, de ne rien comprendre. Elle veut juste oublier, oublier et tout recommencer du début, de sa conception jusqu’à son éducation, même changer la marque et le goût des petits suisses qu’elle mangeait quand elle était bébé. Tout changer, pourvu que sa vie soit différente.

Elle voit défiler chaque morceau de son existence ; elle est petite, quatre ans à peine, et elle pleure parce qu’elle a mal, parce qu’elle est tombée sur les graviers de l’allée, et sa mère la gifle ; une marque rouge sur sa joue et dans son coeur. Elle est en CM2, et son père lui interdit le sport, la télévision, les jeux vidéo, les amies à la maison, et bien d’autres choses encore : il la trouve dissipée dans ses récitals. En classe de cinquième ses parents ajoutent une interdiction de sortie, et décident de lui faire suivre des cours par correspondance. Elle est enfermée, de plus en plus confinée dans un monde où la seule règle est de jouer en rythme, et où le temps passe sous la dictature impitoyable du métronome. Plus rien d’autre ne compte. Peu à peu, elle ressenti un manque, un malaise : elle découvrait la solitude ; elle n’avait jamais vraiment eu d’ami. Les autres, à l’école lui parlaient, mais surtout pas de musique. Les enfants, quand ils sont petits donnent vite leur amitié sans rien connaître de l’autre en face ; on parle, on joue, on crie et on s’attrape... Elle prit soudain conscience du gouffre qui la séparait des autres enfants, qui la mettait à l’écart derrière plusieurs kilomètre d’ignorance, sans pont pour passer de l’autre côté : la musique ? Bien sur, mais elle n’avait droit qu’aux disques sélectionnés par son père ! Les émissions télé ? Ils n’avaient plus de télévision depuis longtemps. Les livres ? A part ses cahiers de solfège, aucun. La ville ? Les magasins ? Ses parents commandent tout par correspondance, et la seule boutique qu’elle connaisse, c’est le dépôt. Le cinéma ? Pas de poste télé, alors pourquoi le cinéma ? De tout cela et plus encore elle ne savait rien. Avant, lorsqu’elle allait encore à l’école, elle avait goûté à cela, et maintenant on le lui avait retiré : c’est encore pire, car on ne peut manquer que de ce que l’on connaît ; elle était une princesse dans un donjon de verre.

La révolte grondait en elle, un peu comme le tonnerre que l’on entend de loin, sourd et tenu. Mais attisée peu à peu par l’Autre, cette révolte avait grandi : pour l’amour qu’on ne lui donnait pas, pour les plaisirs de l’enfance qu’on lui avait pris, pour les amitiés qu’on lui avait gâchées et interdites : pour la vie qu’on lui avait refusée. C’était leur faute, à eux. Ils étaient les murs qui empêchaient Thésée de sortir du labyrinthe, ils étaient les soldats de la Dame de Cœur qui voulaient capturer Alice, ils étaient Poséidon qui interdisait à Ulysse d’atteindre son but. Quand elle rentrait le soir, après avoir été cherché les manuels de musique commandés par ses parents, elle se demandait comment cela faisait de se sentir chez soi. Elle aurait aimé dire : « Enfin chez soi ! » et sourire à sa mère qui lui aurait préparé un chocolat chaud et lui aurait planté un baiser sonore sur la joue, son père lisant le journal lui aurait demandé comment ça c’était passé, à l’école. Elle s’imaginait la vie parfaite comme celle des très rares films qu’elle avait vus.

Elle voulait rentrer CHEZ ELLE, mais chez elle, où était-ce donc ? Encore une fois, elle revenait à eux : ils lui avaient pris son existence, ses joies, ses rires, ses plaisirs, ses peines et ces petites douleurs de tous les jours. Ils lui avaient même pris ses larmes. Chacune de leurs paroles, amères et aiguës, ajoutait du bois au feu de sa colère ; cela devenait un brasier, un incendie qui la consumait toute entière.

Elle avait accusé les coups, toujours, sans rien dire. Jusqu’à ce jour-là. Une parole de trop avait suffit.

Ce dimanche matin, elle s’était réveillée avec le désir fou de sortir, d’aller se promener en ville, de voir des gens, rien que de les voir et de se faire voir, pour s’assurer qu’elle n’était pas un fantôme ; le fol espoir de Robinson Crusoé qui voit une voile blanche sur l’azur. La solitude avait enfermé son cœur dans une cage, et voilà qu’elle croyait voir fondre les barreaux ; ces parents le lui autoriseraient, elle n’avait jamais rien demandé, jamais rien exigé : ils lui devaient cela. Elle avait descendu les marches une à une, fiévreuse et tremblante ; elle les avait trouvés, comme toujours, assis à la table de la cuisine ; elle étudiait une partition, lui réparait son métronome. Ils n’avaient pas levé la tête à son arrivée.

« Ton solfège se contenta d’aboyer sa mère.

-Oui, mais avant, j’aurais quelque chose à vous demander.

-Je t’écoute.

-Aujourd’hui, j’aimerais sortir. Après ma leçon de piano bien sur ajouta-t-elle rapidement. »

Ses paumes étaient moites, son cœur s’affolait et s’accrochait à cet espoir : elle attendait le verdict.

« C’est hors de question ! cria son père. Tu ne vas pas gaspiller ton temps dehors alors que tu pourrais le passer à réviser ton récital. La musique doit rester ta seule et unique priorité. Entends-tu ?

-Ton père a raison, ajouta sa mère. Ne gaspille pas ton seul avantage.

-Mais…

-La discussion est close jeune fille reprit sa mère. Maintenant, ton solfège, et plus vite que ça. »

Une sueur froide lui glaça la colonne ; des points noirs dansaient devant ses yeux. Elle qui s’était représenté le bonheur comme un soleil éclatant, elle vivait une éclipse totale. Ses bras reposaient, inertes, le long de son corps ; elle s’attendait à éclater en sanglots d’un instant à l’autre, mais les larmes ne vinrent pas et ses yeux restèrent désespérément secs. Déglutir lui était pénible. Aurait-elle été un condamné a qui on annonce qu’il passera sa vie dans une geôle que cela n’aurait rien changé. Le cœur en miettes, elle allait se résigner. Mais l’Autre ne voyait pas les choses de la même façon : elle lâcha dans ses veines le poison de la rage, le flot colère blanche, noire et rouge, la colère sourde et aveugle qui monte comme un feu et se propage dans tout le corps. Une envie de meurtre, une fureur sanglante s’abattit sur elle, et tout devint noir : la dernière chose qu’elle vit fut le tiroir ouvert de l’argenterie ; l’Autre avait reprit le dessus.

Elle s’était réveillée dans son lit, l’esprit embrumé. La première chose qu’elle remarqua fut cette odeur lourde et pesante, âcre et douce en même temps. Elle n’y comprenait rien. Le Diable, l’Autre, lui susurra alors les mots qui signèrent la fin de tout : « Je les ai tué ; je leur ai arraché les yeux comme ils t’ont arraché la vie. Mais je dois dire que le mérite te revient : à vrai dire, c’est toi, et toi seule qui les as tué ; je t’ai juste aidé… »

Elle ne pouvait y croire. Mais dans la cuisine reposaient les corps de ses parents et les couteaux d’argents baignant dans une mare de sang : ses ongles en étaient encore pleins. Elle ne pouvait y croire. Des sons sortaient de sa gorge sans qu’elle sache ce qu’elle disait, flot de parole ininterrompu et désespéré. Le visage ravagé par les larmes, elle se tourna vers la seule chose qui lui restait : son piano.

Cela fait déjà deux jours. Peut-être trois. Qu’en sait-elle ? Le métronome ne décompte pas les heures. Depuis lors, elle n’avait fait que jouer. Parfois, elle se lève pour boire et manger, puis joue encore, encore, jusqu’à ce que la fatigue la fasse dégringoler du tabouret ; elle dort alors à même le sol, au pied du piano, comme si c’était un gros chien qui veillerait sur elle.

Maintenant toute envie de vivre l’a quittée : la musique ne suffit plus à combler le vide, noir comme le néant, blanc comme le début des temps. Son regard se fixe sur le tube de comprimés posé sur le couvercle du piano : bientôt tout sera fini. Elle monte dans sa chambre, et se couche, comme si elle allait dormir D’ailleurs c’est bien ce qu’elle va faire. Tout devient flou, son corps se relâche et ses paupières clignent doucement ; mais elle voit encore ces mots sur les murs, pour la dernière fois : « TU LES AS TUES ».

jeudi 3 décembre 2009

Cacophonie silencieuse


Les larmes de l'amitié déçue ont le goût amer et passé d'un bonbon à la fraise qu'on a retrouvé au fond de sa poche, après que son jean soit passé à la machine. Le sucre qu'on aimait remplacé par la javel qui fait pleurer.
De la tristesse sublimée, mal de l'âme mis en mots : la javel, c'est douloureux.

Dans ma tête résonne la sonnerie de ton téléphone, puis la voix de la messagerie. Je la laisse jusqu'à ce que tu aies dit ton nom, puis je raccroche. J'aimerais simplement t'entendre.

Personne ne lira cela, je m'en doute bien, et après tout, cela m'est bien égal. Je projette ma poésie douloureuse dans l'infini de la toile et du ciel, pour tout le monde et pour personne. Une fille qui pleure dans son lit n'intéresse pas grand monde. Et, je crois, lui le moins. Schade.

In bed, Zoeelyn.


"Ce qu'on dit au Poète à propos de fleur"


Rose aura 90 ans en janvier prochain.
Les enfants du voisinage ne l'appellent jamais Madame B., ni Madame tout court d'ailleurs ; ils l'appellent Madame Rose. Moi, je l'appelle simplement Mémé. Rose est mon arrière-grand-mère.

Dans les cheveux de Rose, on trouve encore, au milieu du blanc, de fins filaments noirs, témoins de sa jeunesse. Mon arrière-grand-mère n'accepte pa
s l'idée de vieillir : elle utilise du shampoing soin pour cheveux secs, et un après-shampoing, et du lait pour le corps. Elle veut toujours être bien habillée.
Cette femme, qui me raconte avec passion sa jeunesse, quand elle allait faire le foin et qu'elle emmenait un livre avec elle en le cachant dans ses bas pour ne pas que sa mère le voit, me fascine. Elle est énervante, parce qu'elle se plaint tout le temps, et qu'elle a des opinions très arrêtées (sur la religion surtout), mais elle est touchante : certaines personne sont faites dans leur tête pour rester jeune toute leur vie, mais quand le corps les en empêche, elles sont malheureuses. C'est le cas
de Rose.

Elle dit au curé quand il vient : "Noémie est la plus gentille de mes petites-filles, elle vient souvent me voir". Et quand je pars, elle me serre dans ses bras en disant "Merci pour la visite, et pour le jeu, je suis contente que tu vienne" et puis dans un souffle "Mais l'année prochaine avec l'école, tu ne viendras plus". C'est dt d'une façon si triste, que je dis que je prendrais toujours un moment pour venir la voir, même si ce n'est qu'une heure, parce que je vais rentrer les week-end. "Mais il y a le copain" me répond-elle en souriant. Je fais un geste de la main qui chasse Loic (pour le moment) comme on chasse une mouche "Je prendrais le temps, je viendrais". "Ah ! ça j'aimerais bi
en !".

Quand je descends à la cave pour vider sa poubelle, je vois une brouette pleine de branches de rosier, fanées, mais dont les fleurs ont gardé cet éclat doux : alors je me dit "C'est Mémé". Je me rends compte que je l'aime, et que malgré ses nombreux défauts, elle me manquera, quand elle ne sera plus
là.
Tout cela tient à une brouette pleine de roses. Il nous faut parfois du temps.


Humble gift, Marielliott