mardi 17 mai 2011

?

Hep, d'où trouvez-vous que mon dernier article est heurté ?
Moi, je trouvais ça drôle et léger.

dimanche 15 mai 2011

"Tu es la première dans mon coeur et dans mon slip"
<3

lundi 9 mai 2011

Essai pour un début de roman où ce qu'une souffrance peut engendrer de bien - Tais-toi mon coeur

Je ne pourrais pas. Je ne pourrais pas ne pas pleurer. Il ne comprend pas, et je n’arrive pas à le lui dire. Millimètre par millimètre il s’éloigne, je le sens. Si je tire sur la corde, il prendra peur et s’en ira. Alors que faire à part pleurer, comme prosternée devant la statue d’un dieu muet, une prière qu’il n’entendra pas. Que faire à part pleurer ? Mon Dieu, j’ai mal au coeur, un caillou dans la chaussure.
Si elle s’avance d’un pas si précautionneux, comme suivi du fantôme improbable de son ombre, c’est qu’elle ne sait jamais dans quel état elle trouvera Bruno quand elle arrivera. Alors que chaque marche craque, que le bois ancien de l’escalier minuscule fléchit l’échine sous son poids, Ester laisse son regard s’attarder encore une fois sur le papier peint jauni : il devait être blanc, lorsque l’immeuble a été construit, mais maintenant,  c’est parchemin ; une frise avec des nénuphars, arrachée par endroit, l’a étonnée la première fois qu’elle est venue : on aurait dit un motif de chambre d’enfant, et l’on devinait encore le rose passé des pétales. Elle s’était souvent demandé si la musique pouvait réveiller la soie endormie : Ester aurait voulu que Bruno la laisse, rien qu’une fois, jouer du violon dans cette cage d’escalier qui avait quelque chose de la belle au bois dormant : quelques notes devaient sûrement pouvoir faire retrouver leur couleur aux fleurs d’eau. Mais il invoquait toujours les voisins, les réclamations qu’ils allaient faire, l’embarras que ça lui donnerait : «Tu sais très bien toi-même que ça ne marchera pas, ton violon n’est pas magique aux dernières nouvelles, à ce que je sache. Arrête de poser la question, tu as trop d’imagination, ça te perdra ma p’tite». Ce ton sarcastique, cette façon de l’appeler «ma p’tite», dédaigneuse et affectueuse à la fois. Il est comme sa cage d’escalier : arraché par endroit, tellement intéressant. Mais parfois Ester se demande si son coeur n’est pas tout aussi parcheminé et grinçant.
Marche après marche, elle se rapproche du cinquième étage, de l’appartement 76. Une porte en bois elle aussi, mais neuve, il l’a faite changer le mois dernier. Ester préférait l’ancienne, plus noble, plus centenaire, plus sage. «Elle ne ferme plus correctement». Et voilà comment la plus sage d’entre les portes d’appartement se retrouva à la décharge. Ou pire, à la scierie. «J’espère vraiment que cette fois, cela va bien se passer, je n’ai pas envie qu’on se dispute encore», murmure timide et presque farouche qui résonne dans sa tête, apeuré comme si Bruno pouvait l’entendre. Elle sonne, personne. Elle sonne à nouveau, personne. Un soupir à fendre l’âme, et de la même façon que si cela la vidait de toute fermeté, elle se laisse couler contre le mur. Bien sûr, il a encore oublié. Il lui dit de venir, et il oublie qu’il lui a dit de venir. D’habitude elle attend devant la porte, avec un livre, elle le connaît, il est comme ça, il ne changera pas ; elle lit jusqu’à ce qu’il revienne, et lorsqu’il la voit assise devant sa porte, comme une chien gardien, il s’arrête un instant, figé en pleine course -on peut même voir sur son visage que le fleuve de ses pensées s’est arrêté, presque que son coeur a cessé de battre, ou raté un battement- et puis il se frappe la tête, prononce un misérable «Merde»
«Ca fait combien de temps que tu attends ?
-Presque deux cents pages.
-Merde. J’suis désolé. Merde.»
Mais c’est vite oublié. C’est très vite oublié. Ester lui dit : «Tu sais sans toi je lirais beaucoup moins, tu parfais ma culture littéraire» en riant, en se moquant de lui. Mais aujourd’hui, ce n’est plus pareil. Pourquoi ? Parce qu’ils se sont disputés la dernière fois, et qu’elle a fini en larmes, en sanglots, en éclats. Parce qu’en ce moment Ester ne va pas bien, et que Bruno cesse d’être là pour elle. Comme un illusionniste, il sort de son chapeau mille et une excuse pour ne pas la voir, produit par magie des problèmes de ligne téléphonique, et se jette un sort d’oubli par accident. 
«Pourquoi est-ce que tu t’éloignes de moi ? J’ai fait quelque chose qui t’as déplu ? J’ai dit quelque chose qui t’as déplu ? Si tu ne me dis pas, je ne peux pas savoir.
-Mais Ester, il n’y a rien, je ne m’éloigne pas, je suis là, voilà, c’est tout dit-il dans un souffle excédé. Je ne comprends pas ce que tu me reproches encore.
-Je ne crois pas t’avoir jamais reproché autre chose que ça.
-Et ben alors arrête de le faire, tu te tournes des films. Je te l’ai dit, tu as trop d’imagination ma p’tite, et un jour ça finira mal lui répondit-il.
-Je ne sais pas comment je dois prendre ça.
-Ne le prend pas, accepte et laisse pisser. Aller viens, je t’ai trouvé une nouvelle partition.»
Voilà comment tout s’achève à chaque fois. Dans une autre vie, il a du être gymnaste, voire même contorsionniste, il effectue de belles pirouettes, il serpente, évite les obstacles, désamorce les questions gênantes. Bruno ne prend jamais rien au sérieux. Sa légèreté fait de lui un ballon gonflé d’hélium, qui si on lâche la ficelle ne revient jamais. Ca, Ester l’a bien compris, très rapidement, peu de temps après leur rencontre ; combien de filles a-t-il déjà eu dans son lit ? En cinq ans d’amitié, elle ne les compte plus. Elles croient toutes pouvoir le garder en jouant de leurs charmes, l’attirer à elles, le serrer très fort et qu’il leur dise tout bas «Je ne partirai jamais». Mais lui n’est pas comme ça. «L’amour, ce n’est qu’un jeu. Quand le jeu est fini et que l’habitude s’installe, ça ne vaut plus la peine, ce n’est plus intéressant, cela m’ennuie profondément». Alors elles passent, de gré ou de force. Lundi une blonde, mardi une rousse, mercredi une brune. C’est déjà arrivé. Ester ne comprend pas.
«Pourquoi tu ne pourrais pas ? lui demande-il. Tu trouves que c’est mal ?
-Non, bien sûr que non, ce n’est pas mal. Mais je ne peux pas, c’est viscéral.
-Viscéral, viscéral, quel grand mot ! C’est juste que t’es romantique à en crever et que tu ne veux pas l’avouer.
-A en crever non. Je ne demande que peu de chose en fin de compte : quelqu’un que j’aime.
-Les Juifs ont quand même de drôles d’idées.
-Pour la millionième fois, de une je ne suis pas juive, de deux tu n’as jamais côtoyé de Juif de ta vie alors comment peux-tu dire qu’ils ont ce genre d’idées ?
-T’énerves pas Ester. Tu sais bien que je plaisante.
-Ouais ben c’est pas drôle.»
Adossée au mur, Ester réfléchit. Restera, restera pas. Attendra, attendra pas. Bras ballants, tête vide, estomac creux, coeur en peine, elle reste ainsi pendant presque vingt minutes avant de se décider. Restera pas, attendra pas. Pourquoi ? Pas de livre, bibliothèque fermée hier, mal à la tête, froid au pied, raison x et raison y. Elle se lève péniblement, descend les étages en se demandant si quand il rentrera, quand il se retrouvera devant sa porte, l’impression familière d’oubli lui reviendrait, même si elle n’est plus là, qu’il se rendrait compte, qu’il se frapperait la tête et dirait «Merde», puis l’appellerait pour s’excuser. Elle l’espérait. Mais ça n’arriverait pas, parce qu’il ne se souviendrait pas. Un cristal sur la joue d’Ester. Il se brise sans bruit sous son poing rageur, mais l’écho invisible fait vibrer l’air alourdi de poussière. C’est toujours la même chose, l’évidence saute aux yeux comme la chouette fond sur le minable rongeur, ses serres acérées le lacèrent et le transpercent, et s’il parvient à s’échapper, lamentablement, ce n’est que pour mourir quelques mètres plus loin, seul, pour essayer de retrouver un semblant de dignité. La blessure n’est pas profonde, pas encore.
Les marches semblent exploser sous Ester, elle porte avec elle un nouveau fardeau, celui de la déception. Les fibres du bois gonflent de larmes retenues. De rage elle arrache un morceau de la frise, les racines des nénuphars emmènent avec elles des lambeaux de papier-peint, des griffures sur le mur. Enveloppée dans la brume de ses pensées, elle ne voit pas qui passe à côté d’elle.
«Ester ? Ester c’est toi ?»
Elle s’arrête. Elle attend. Rien ne se passe.
«Ester, qu’est-ce que tu fais là ? Pourquoi tu n’attends pas devant la porte, comme d’habitude ?
-Parce que tu savais que j’étais là ? Tu savais que j’allais t’attendre ?
-Je rentre en courant, je me suis rendu compte que je t’avais oubliée, je suis désolé, ne pars pas s’il te plaît.
-C’est à chaque fois le même cinéma Bruno.
-Je sais, je suis impayable, et je m’excuse. Je te promets, je ne le ferai plus. Monte, s’il te plaît, Ester.
-D’accord. C’est la dernière fois».
Mais ça, elle ne le dit pas.
***
Le violon emplit la pièce de rubans dorés qui tourbillonnent. Ester joue le vingt-quatrième Caprices pour violon solo, de Paganini. Les pizzicati sont comme autant de petits cailloux jetés dans une mare, les cercles qu’ils forment sont irisés, fais de son ils emplissent l’air de paillettes que seul un véritable musicien de coeur pourrait apercevoir, parce qu’elles ne scintillent pas pour des yeux étrangers, n’ayant pas la clef de sol qui ouvre le domaine merveilleux de la musique. L’appartement est étroit, tout en longueur, décoré de bric et de broc, objets récupérés, achetés en grand magasin et en brocante, offerts. Un petit canapé campe sous la fenêtre, des coussins beiges et un plaide tricoté, en laine blanche, lui tiennent compagnie. Sur un haut tabouret de bois se trouve un vase chinois plein de motifs entrelacés et de couleurs vives ; les murs sont blanchis à la chaux, et épinglés de tableaux trouvés pour la plupart dans des vide-greniers, des plaines, des champs de fleurs, des bouquets, des lacs gelés, de vraies poésies. Le reste des meubles sont en bois foncé, du noyer probablement, Ester elle-même ne le sait pas, elle les a achetés dans des vide-greniers, non pas qu’elle ai des problèmes d’argent non, mais parce qu’elle aime les meubles qui ont une histoire, un passé, des cicatrices, du brouillard. 
Bruno est assis dans un coin, près d’une fenêtre ; il écoute de tout son coeur. C’est pour lui qu’Ester joue, parce qu’il aime l’entendre. Quand elle avait voulu, peu après leur rencontre, arrêter le violon à cause de ses études, il l’en avait dissuadé : «Tu as un don avait-il dit, des tas de gens tueraient pour savoir jouer comme toi, et tu voudrais abandonner ?! C’est pas possible». Il s’était mis à lui acheter des partitions, de tout et de n’importe quoi, de bonnes mais aussi beaucoup de mauvaises ; elle s’y mettait, qu’importe leur qualité. C’était Bruno qui lui avait fait aimer à nouveau le violon, qui lui avait fait comprendre pourquoi elle avait voulu apprendre cet instrument plutôt qu’un autre. Sa musique s’était alors déployée : avant, le talent était présent comme en germe, en puissance, enfermé dans le coeur même du violon, n’osant pas s’exprimer à voix haute ; maintenant, l’instrument semblait donner toute son âme, et elle envahissait l’air ambiant comme une brume qui rendait chaque chose, chaque personne plus belle. C’était la vraie musique, celle qui ne capturait pas le monde pour l’emprisonner entre les lignes de la portée, mais celle qui démultipliait la réalité comme la lumière blanche passant au travers d’un prisme. Tout changeait, tout se transformait quand Ester prenait son violon.
«Pourquoi sommes-nous amis ? lui demandait-elle parfois.
-Je n’en sais rien ; t’as de drôles de questions.
-J’aimerais simplement savoir ce que tu penses.
-T’es trop compliquée»
Je ne comprendrais jamais, non je ne comprendrais jamais pourquoi est-ce qu’elle s’obstine à vouloir tout savoir de moi, les moindres détails, toutes ses choses insignifiantes, qui n’ont absolument rien à voir avec notre amitié. Je n’en sais rien moi, ce qui fait qu’on aime quelqu’un, je n’en sais rien. Qu’elle joue simplement. Quand elle joue je me sens bien, je n’ai pas à la regarder au fond des yeux et à essayer de lui dire ce que je ne pourrais jamais dire. Dans ces moments je n’ai pas à être honnête, intègre, tout ce qui fait un vrai ami ; et pourtant, c’est là que je me sens le plus proche d’elle. Parfois, je me dis que je ne suis vraiment qu’un sale con.
Ce matin-là il neige, et par la fenêtre du petit appartement Ester voit les passants qui se dépêchent, qui se hâtent, le froid les a surpris. Sa chambre est blanche, entièrement blanche, les mêmes murs à la chaux que dans les autres pièces ; au-dessus du lit, une photographie d’un immense champ de coquelicots qui s’étend à perte de vue. «C’est super équivoque» lui avait dit Bruno la première fois qu’il était venu chez elle. Elle ne trouvait pas. L’effet du rouge tranchant sur le blanc. Etendue sur le lit, les couvertures en désordre, elle voit les flocons qui dansent. Ester dort toujours les volets ouverts, la lumière inonde la pièce et se fond dans le blanc des murs. Il neige dehors et au-dedans d’elle-même. Blottie au creux des draps, les souvenirs s’échappent des tréfonds de la mémoire et remontent lentement jusque dans son coeur, la neige s’élève au lieu de tomber, s’élève vers le yeux d’Ester et lui fait verser des larmes de cristal, rares et pures. Le sang bat derrière ses paupières, sa respiration est un cyclone. Elle regarde son violon posé à même le sol ; l’envie de jouer ne la possède pas, et à cet instant il n’est qu’un vulgaire morceau de bois émettant des sons sans queue ni tête, dans son esprit la partition se brouille et même l’oreille ne perçoit plus la mélodie, une cacophonie. Il est temps de se lever. Avec lenteur, elle s’assoit au bord du lit ; la neige retrouve son cours normal, Ester ne pleure plus. Tout le vacarme retombe en elle comme une vague qui reflue, et la trame de la partition revient. Ester saisit le violon et se met à jouer.