mercredi 30 mars 2011

Je n'aime pas être mise devant le fait accompli.

dimanche 27 mars 2011

J'aimerais pouvoir saisir le bonheur dans son entièreté, ne pas le déchirer en le tenant trop fort. Il soigne mes blessures. 

jeudi 24 mars 2011

Idunn.


Elle regarde la feuille blanche et sourit. Entremêlée dans les draps, elle regarde le bout de ciel qui perce dans le coin de la fenêtre : gris neige, des petits flocons. Un temps triste pour un jour triste. Lentement, elle enlève ses chaussons, elle ouvre la porte du balcon et sort pieds nus dans la neige. Le froid puis la douleur. Tout est blanc au dehors, et malgré les nuages bas qui voilent le soleil, toute cette blancheur brûle ses pupilles. Tout s’efface, l’esprit est vide. Dans ses pieds Sigrid sent l’irradiation du froid : la douleur purifie car elle marque la chair. La douleur purifie car elle ranime en nous le sentiment d’être en vie : au fond de nous se bat la sève vitale qui hurle pour chacun de nos pores. Il faut la douleur pour aimer la vie. Et Sigrid, comme Homère, levant ses yeux aveuglés vers le ciel couleur d’ouragan, inspire profondément : elle perçoit dans sa poitrine le souffle qui se débat. Lorsqu’elle rouvre les yeux, elle voit. La route et les trottoirs sont blancs du sel que l'on a jeté dessus dans la crainte de la plus petite flaque de verglas : elle imagine que le paysage autour des Tours Jumelles devait être pareil après leur effondrement, blanc comme de la poussière d'os fracassés que les bâtiments ont exhalés dans leur dernier souffle de vie. Poudre blanche et sale, minérale et humaine. «Ashes to ashes, dust to dust», la vie des hommes se construit sur celles de leurs morts, strates par strates, à l’image des cadavres que l’on peut aplatir dans une tombe, lorsqu’ils sont assez décomposés, pour en mettre un autre par-dessus. Et c’est le dégoût du monde qui revient, par delà le beau vernis de l’hiver.
Le retour d'un sentiment qu’elle n'avait plus éprouvé aussi fortement depuis longtemps. Pas un sentiment, mais plutôt un état, un état d'épuisement mental plus que physique, une lassitude, une envie de pleurer. De pleurer pour quoi, pourquoi ? Sigrid serait bien incapable de le dire. Débiter un chapelet de causes toutes aussi risibles les unes que les autres, les jeter par dessus son épaule, se retourner enfin et voir un tas de vieilles idées, de vielles rancoeurs, de vieilles déceptions. L'envie pitoyable de s'enfermer dans la voûte de son lit, et laisser venir les larmes, les larmes sans cause comme le ruisseau sans source, jaillit de la pure pensée empoisonnée d'un air ambiant vicié. S'abandonner et laisser derrière soi son courage, pour quelques minutes ou quelques heures, le corps enfoui dans les draps et comme mort, mort de fatigue, mort d'ennui, mort de tristesse insondable. Il suffirait qu’elle se couche et qu'enfin elle lâche prise. Mais pour ça il faudrait se tailler les veines. Ce sommeil ne peut qu’être éternel.



lundi 21 mars 2011




Je suis comme je suis, et j'aime comme j'aime,
Même si j'en paie le prix, je suis comme je suis
Je suis mes envies, comme me suivent ceux qui m'aiment
Je rêve comme je rêve, plutôt mal que bien,
Parfois même à rien, je suis comme je suis
En tout cas je n'ai

La prétention de rien

mardi 8 mars 2011

Quand tu dors à côté de moi je n'ai plus peur.
Car tu as cette espérance en Nous que personne n'a eu.

jeudi 3 mars 2011

MEMINERAM.

J'ai dit un jour, il y a presque un an, que j'écrirai ma souffrance. Que vous devriez brûler ces pages avant qu'elles ne vous brûlent. Peut-on tout effacer ? Je voudrais tout rayer, tout tout tout rayer, ne plus parler de Loic. Je ne sais pas si je peux y arriver. Je ne sais pas si je peux cesser de souffrir, pour de bon. Et ce soir, alors qu'il est absent, virtuellement comme physiquement -surtout physiquement- et que je relis les anciennes pages de ce blog, elles m'apparaissent comme autant de vestiges morts qui soudain se réveillent et me griffent le visage, je ne peux pas me dire, je ne peux pas reconnaître qu'un jour j'ai pu éprouver ces sentiments, tellement cela a pu me faire du mal, tellement cela a pu me briser comme un coque de bateau jetée sur les rochers. Je lui ai trouvé des excuses. Je me suis courbée, si courbée que je ne pouvais plus écrire que dans la douleur et le désespoir. Les émotions extrêmes perçaient seules la surface du l'armure que je m'étais constituée. Je me sentais vulnérable. Je me sentais toujours la proie des critiques, des rires, des insultes.


J'aurais donné ma vie pour ce garçon. Je le voulais. Comment ai-je pu me tromper ? J'ai toujours cru que ce genre de sentiment était invulnérable. La chute fut difficile. Pendant des mois, de février à juin, je me raccrochais à lui, je ne voulais pas le lâcher. Pourquoi s'accrocher ? Par sécurité, par habitude, par peur d'être seule surtout, oui, surtout, par peur d'être seule. Le vide de ma vie, sans le rôle d'élément structurant qu'il jouait, m'apparaissait comme trop insupportable. Oui, j'ai été lâche, et égoïste, et peut-être que j'ai mérité ma souffrance. Je voudrais croire que non. J'ai essayé de lui faire comprendre, de provoquer chez lui un déclic : il n'était simplement pas fait pour moi, je n'ai pas voulu l'accepter, me l'avouer. Comme quoi, l'amour rend bien aveugle. 


Et pourtant, je n'ai pas été honnête avec lui, jusqu'au bout. Il y avait déjà quelqu'un d'autre avait que notre relation soit enterrée. J'ai honte. J'ai terriblement honte. J'ai toujours dit que jamais, au grand jamais, je ne pourrais pardonner l'infidélité. "Ne fais pas aux autres ce que tu n'aimerais pas qu'on te fasse". Ne me blâmez pas, je me suis assez blâmée moi-même. Les coups de fouet, je me les suis donnée seule, dans l'aide de personne, tellement fort que du dos ils ont atteint le coeur, flagellé à mort. Je ne me pardonne pas.


Il était un vide. Les sentiments que je lui donnais, il les prenait, mais il ne pouvait les renvoyer, et ils se perdaient en lui, il n'en comprenait pas la portée. Non, il ne se cachait pas. C'était impossible pou lui, de se cacher comme de se montrer, lui qui après plus d'un an ensemble, avait du mal à se montrer nu devant moi. Je ne comprenais pas. Alors, comme une folle dans une cellule blanche, je me suis tapée la tête contre le mur qu'il était, jusqu'au sang, jusqu'à voir rouge. Chaque week-end, cette présence qui aurait du m'apporter la paix, la sérénité, le bonheur, me donnait des larmes et mon âme était twisted. J'ai supporté. Parce que je l'ai voulu, parce que je pensais que c'était ça, la vie de couple, que c'était aussi la souffrance.  Je n'avais pas tort, mais l'échelle était mauvaise. Je m'étais trompée de dose. 


Je me suis traitée de salope. Je me suis traitée de pute. Je me suis griffée les jambes jusqu'au sang, et j'ai pleuré une nuit entière sans pouvoir tarir la source de mes larmes. Et au matin, je me suis effondrée, le corps ne suivait plus. L'esprit criait encore. Une personne sait cela. Il se reconnaîtra. Il reconnaître ces mots que je lui ai écrit, dans une lettre, cet été. Mais il est temps de rendre les émotions au public pour qu'elles se perdent dans l'immensité de la foule et se diluent pour s'y perdre à jamais. 


Les mots étaient toujours sans conviction. Les sentiments n'en étaient pas, ils n'étaient qu'une façade comparés aux miens. Je lui ai tout donné. TOUT. Et tout m'a été renvoyé à le figure. Non, pas à la figure, EN PLEINE GUEULE. La cicatrice ne se voit que quand je pleure : les larmes empruntent toujours les mêmes sillons. Il ne savait pas les arrêter, il n'essayait même pas : il attendait que je m'épuise, que je me culpabilise, que je reconnaisse que j'avais tort alors que non, je n'avais pas tort, pas toujours. Et chacun de mes pleurs s'enfonçait un peu plus dans ma peau.


J'ai senti chaque atome d'amour sortir de mon corps, comme les gravillons qu'il y a plus de dix ans ma grand-mère avait sorti de mes plaies, un à un. C'était douloureux. Très douloureux. Je n'ai pas voulu lâcher prise. Je me revois, disant à Audrey que si, les sentiments étaient revenus, que rien n'était contradictoire, que j'allais me fiancer cet été et même que rien ne pouvait plus me réjouir que cette perspective, que tout irait mieux, beaucoup mieux à ce moment-là. Je me mentais. Je cherchais le déclic, je pensais que lorsqu'on se fiancerait, il saurait comme moi je savais, qu'il ferait des efforts pour me garder, mais je n'ai pas pu tenir jusque là, et c'est tant mieux, car cela aurait été une erreur. Une grosse erreur. J'ai freiné des quatre fers, mais la révélation fut lente. Exsangue. 


J'ai peur. J'ai peur que tout recommence. Pourquoi ? Peut-être parce que c'est un scientifique, comme lui. Peut-être parce que nous n'avons pas non plus de points communs. Mais je crois que c'est différent. On joue à armes égales cette fois. 

Idunn.

CHAPITRE I : La jeune fille qui aimait le noir.
La buée de son souffle se propage dans l’air glacé du mois de janvier. De son balcon, Sigrid observe la nuit ; son regard se plonge dans l’obscurité impénétrable, ses yeux s’usent à essayer de la percer. Personne. Le moteur des voitures, au loin. L’entrepôt désaffecté est silencieux, et ce grand terrain envahit de mauvaises herbes et de tôle rouillée, la nuit, fait l’effet d’un trou noir en plein milieu de la ville, un trou béant, tranchant par son silence et son inertie à côté des rue toujours pleines de bruit et de foules pressées qui se bousculent sur les trottoirs. Ici, rien ne bouge, rien ne parle, rien ne crie, rien ne vit. A ce qu’il paraît, la mairie n’en fait rien parce qu’avant, c’était une usine de produits chimiques, et que le sol est si contaminé que si l’on détruisait les bâtiments, en retournant la terre on libèrerait dans l’air des substances radioactives. D’autres rumeurs disent qu’en réalité, l’entrepôt n’appartient pas à la ville, mais à la mafia de l’Est du pays, qu’il est un repaire en cas de descente des flics ; ou bien que l’endroit est situé sur une nappe phréatique et qu’à la moindre secousse le sol s’effondrerait et que cela formerait une fissure longue de plusieurs kilomètres, cela ferait tout s’affaisser aux alentours, englouti par la terre. D’autres encore, plus prosaïques, disent que tout simplement la mairie ne sait pas quoi en faire. Sigrid rit en repensant à tout ça, à l’image de ses vieilles voisines apeurées par l’idée d’un possible nuage radioactif, triturant nerveusement leur collier de fausses perles pour se donner un air distingué, et son rire s’égrène dans la nuit comme du cristal brisé avant de rejoindre les étoiles.
Accoudée sur la rambarde de fer forgé, enveloppée dans sa robe de chambre, elle regarde le ciel. Chaque soir, pendant quelques minutes, elle sort sur son petit balcon avant d’aller se coucher, lorsqu’il fait nuit noire et que l’on peut avoir une chance d’apercevoir les constellations si le temps est clair. Elle retrouve le calme noir de l’entrepôt vide, elle s’en imprègne, se débarrasse de tous ces petits problèmes quotidiens qui, au fil de la journée, se sont accrochés à son visage et lui font comme un masque de toiles d’araignées. Cela l’aide à s’endormir. L’agent immobilier était vraiment nerveux lorsqu’il lui avait fait visiter cet appartement : il lui fallait à tout prix le louer à quelqu’un, et, d’après ce que Sigrid avait pu comprendre, elle était sa première visite depuis plus de quatre mois. Spacieux, parquet ancien, isolation et sanitaires refaits à neuf, balcon : sur le papier, il avait tout pour plaire. Ce n’est qu’à la dernière ligne de la description que les potentiels acheteurs changeaient complètement d’avis sur le logement : situé dans la ville basse, à côté d’une friche industrielle. Premier mauvais point : la ville basse passe pour être malfamée, et même si le cliché a la vie dure, il reste ancré dans la plupart des têtes. Deuxième mauvais point : si la vue n’est pas là pour rattraper la situation générale, c’est fichu. Un vieux tas de tôle en ruine, c’est un refuge pour les squatteurs, les dealers et autres malfrats en tout genre ; personne ne veut de ce genre de faune en bas de chez lui.
Mais Sigrid aime les endroits atypiques. Et elle aime encore plus le silence. Le premier critère lui fit prendre rendez-vous pour une visite. Le second la fit signer la bail. «Je n’ai de créneau horaire disponible qu’après 20h, cela vous va ?» avait dit l’agent au téléphone, souhaitant de toutes ses forces, de tout son corps, de tout son n’importe quoi, qu’elle dise oui. Le soir, la masse hideuse de la friche était noyée sous le manteau de la nuit : pour convaincre un futur locataire, c’était mieux. Quand elle dit que oui, sans problème, cela irait, il soupira de soulagement quand elle raccrocha et alla même se servir un verre de vin. «Chérie, annonce-t-il à sa femme, si cette fille accepte de venir dans la ville basse après 20h pour visiter cet appartement, je peux te le dire, il est loué». Cette nuit-là il dormi du sommeil des justes.
La ville basse. Pour Sigrid, ce n’était pas le périmètre réservé aux petits et grands malfaiteurs, qu’ils soient dealers, proxénètes ou revendeurs sauvages d’objets volés ; ce n’était pas non plus le terrain de jeu de la guerre des gangs, qui d’ailleurs tenaient plus des querelles de famille pour un renouvellement de concession que de ces complots sanglants qui secouaient les grandes villes de l’Est. La ville basse n’avait plus son prestige d’autrefois, lorsque les casinos clandestins y fleurissaient et y prospéraient comme des champignons sur du compost, lorsque les prostitués pouvaient se faire payer cher leurs charmes et leurs services, allant même jusqu’à créer un syndicat qui imprima des fiches de tarifs plastifiés que chaque femme donnait à ses clients, lorsque l’héroïne qu’on pouvait y acheter n’était pas coupée avec de la farine et qu’on venait de cinquante kilomètres alentours pour s’en procurer. Non, les années fastes étaient lointaines : aujourd’hui, il ne restait plus que de petits revendeurs de barrettes de shit qui avaient du mal à écouler leur stock tellement leur came était mauvaise. Les rares péripatéticiennes qui interpellaient encore les passants étaient les mêmes depuis presque quinze ans : au début, ce fut le contournement de la ville qui leur fit perdre la plupart de leurs clients, qui n’avaient plus d’excuses pour passer par la ville basse, leurs femmes y veillant soigneusement ; les ravages du temps et du métier avaient fait le reste. Mais ces vieilles femmes s’ennuyaient et n’étaient pas prêtes à prendre leur retraite complètement, alors elles traînaient encore sur les trottoirs, attendant un passant comme on attend l’espoir qui vient avec le lever du jour.
Sigrid attendait plus de la ville basse. Les mystères de l’ombre, ruelles sombres et catacombes, lieu d’aventure et de courses poursuites fabuleuses à la recherche de trésors enfouis et de vestiges valant de l’or : une terre de roman. La jeune fille se plaisait à voir le monde au travers du prisme de son imagination : dans un musée d’art moderne, elle sera la seule à fixer une oeuvre pendant plus d’un quart d’heure, l’infusant de ses divagations, faisant d’elle non pas ce que l’artiste s’est échiné à représenter, mais plutôt le théâtre de sa propre pensée qui s’y joue elle-même, sous les yeux uniques de sa créatrice, et la toile n’est qu’un écran prêt à s’en gonfler. Alors cet énorme entrepôt abandonné n’était pas pour elle une verrue au milieu du quartier paisible, mais une boule de verre pleine de brume à rêve. A vingt ans, on peut encore se permettre de forger des chimères.
Si elle avait du se présenter devant une assemblée, Sigrid n’aurait pas eu grand-chose à dire d’elle-même : «Je ne suis pas la mieux placée pour me décrire» dirait-elle dans un haussement d’épaules indifférent ; «Je laisse aux autres le soin de faire mon charmant portrait» ajouterait-elle en souriant, parce qu’elle se serait rendue compte de la sécheresse et de la pauvreté de sa réponse précédente. Ce sourire, ce petit sourire qui était effectivement charmant avait toujours fait de Sigrid, aux yeux des autres, une jeune fille agréable mais qui parlait peu. C’était le cas. Le problème était qu’alors on la rangeait dans la catégorie des personnes qui sont une source d’intérêt plus que réduite. Ce n’était pas le cas. Sigrid était un livre passionnant avec une couverture banale et mal choisie qui ne retenait, au premier regard, que les lecteurs les plus aguerris, et Dieu seul sait qu’il y en a peu. La jeune fille cultive avec soin cette pâleur de façade qui la rend insignifiant et la perd dans la masse des autres caractères : elle n’aime pas se faire remarquer. Son corps élancé et gracieux, ses longs cheveux noirs contre lesquels tranchent ses yeux gris et l’ovale fin de son visage ne lui facilitent pas la tâche : alors Sigrid se fait des chignons très serrés qui rendent son visage sévère et froid, et elle porte des lentilles brunes. «C’est une hérésie de cacher de si beaux yeux ! Que dirait ta grand-mère, elle qui était si fière de te voir les mêmes yeux qu’elle ?» lui disait constamment sa mère. «Grand-mère ne se faisait pas tout le temps interpeller dans la rues par des hommes qui croient que baisser la tête est un ‘‘oui’’» lançait-elle d’un ton cinglant. Silence amer de leur fille contre celui, gêné et honteux, des parents. On changeait de sujet.
Petite, son père lui disait que la Petite Sirène des contes d’Andersen devait lui ressemblait comme deux gouttes d’eau : les cheveux noirs comme le fond des abysses et l’encre des sèches, soyeux comme ces longues algues qui ne voient jamais le ciel ; le teint pâle des coquillages, son visage doucement façonné par la houle ; les yeux délavés par un trop-plein d’océan, de cette couleur qu’avait la mer au commencement du monde, infinie. Quand elle fut plus âgée, et qu’il pu utiliser le mot «vierge» sans plus avoir à entrer dans de gênantes explications, il la comparait aux Vierges du Rhin, longues et pâles dans les eaux glacées, qui ne se laissaient voir que de peu de gens : «Un peu comme toi en somme ajoutait-il : tu te caches des autres, tu ne te laisses pas regarder». Sigrid haussait les épaules, elle n’avait rien à redire à cela : c’était vrai.
L’enfance de Sigrid lui laisse un goût de brume sur le palais ; elle ne saurait dire pourquoi. Elle a cette impression d’avoir traversé la vie d’un pas lent et mesuré, en sentant chaque grain de sable s’écouler et les secondes s’arracher à soi, s’envoler en une nuée de bulles de verres. De verre brisé. «C’est comme de sentir la pression atmosphérique» se disait-elle parfois. La petite sirène écrasée par la gravité, c’est la victoire de Newton sur Andersen, le monde commun. Sigrid n’aime pas ce réel écrasant de gravité ; et l’enfance particulièrement, elle l’a vécue comme une affligeante banalité, ponctuée ça et là d’un feu follet sitôt vu, sitôt disparu. Il avait fallu apprendre à marcher, à parler, à lire, à écrire, à ne pas parler la bouche pleine et à rentrer avant minuit. Il avait fallu devenir une jeune fille accomplie, qui réussit ses études et s’épanouit dans son travail, que papa et maman soit fiers. Affligeant. Les forêts de symboles contées par Baudelaire ont disparu, et Sigrid, enfant sauvage de ces bois de fleuries de métaphores, jauge la vie ordinaire en essayant -en vain- d’en dégager le sens. L’on s’étonne de son affliction ; à dix ans, les petites filles ne se disent pas que le monde est fin comme une feuille de papier calque, appauvri et dépossédé, mais épais dans ce qu’il peut imposer, lourd dans ce qu’il impose. La psychologue diagnostique une «déprime enfantine», dit que cela passera en grandissant : non, non, pas à cause de la maturité, mais plutôt à cause des hormones et de l’alcool. Il ne faut pas s’inquiéter. Sigrid n’y remettra plus jamais les pieds, mais ses parents prennent au mot la psychologue : ça passera en grandissant. Et ils ne font comme si de rien n’était. Leur fille, toujours triste ? Mais non, c’est juste l’expression naturelle de son visage, vous savez, il y a des gens avec un faciès débonnaire, d’autre avec des yeux mélancoliques, c’est comme ça, mais le plus important c’est qu’elle est très jolie n’est-ce pas ? Leur petite Sigrid, renfermée ? Elle est juste timide et réservée, rien à voir avec de la marginalité, rien du tout, simplement un caractère secret, mais l’on y peut rien, attendez qu’elle aille à la faculté, cet univers de liberté lui fera vraiment du bien, vous savez, de savoir qu’on va être indépendant, tout ça, ça fait du bien. Des parents qui se cachent, comme tant d’autres ; il est tellement plus facile de se faire l’apôtre de la différence - «Elle est spéciale, c’est tout, nous sommes fiers qu’elle ne soit pas un des ces moutons qui disent oui à tout et rentre dans le moule» - que d’y voir la bile noire que chacun craint. 
Quand elle découvre Schopenhauer, elle peut se dire qu’elle est fatiguée du monde. Oui, fatiguée. Mais contrairement au philosophe, elle cherche avec avidité à se départir de cette lucidité cruelle : elle ne demande qu’à vivre dans l’illusion. Platon n’avait pas prévu que l’homme sorti de la caverne puisse désirer y revenir. Et pourtant, qui peut dire que même Socrate n’y a jamais pensé ? Il n’y a souvent qu’en philosophie que voir n’est pas agressif pour l’âme, et celle de Sigrid était aspergée du chlore de la réalité. , l’asséchant sans la déchirer - bien sûr, sinon, ce n’est pas drôle. C’est ce qui amena Sigrid à aimer le noir, la nuit : l’obscurité apaise ses yeux agressés, elle permet de ne plus voir, mais de projeter sur cette toile vierge d’une noirceur veloutée les émanations de souffrance et de création de son être. Il faut, chaque nuit, cracher la javel que la vie lui a faite avaler, sentir sa gorge se libérer de cette mordante blessure qui la fait se taire tout le jour ; et dans le ciel, la souffrance brille de mille feux et devient art. Que sont les étoiles sinon la douleur des hommes ? Pour avoir autant d’éclat, il fallait le sentiment le plus vif et le plus durable, la pointe transperçante du diamant. Ainsi sont nées les étoiles, et dans chacune d’elles Sigrid distingue le souffle douloureux qui s’exhale et monte de la terre vers la ciel. Elle sait que sous le firmament elle n’est pas seule.
C’est cette souffrance aussi qui la poussa dans les églises, pour y chercher ce calme mort et apaisant des saints pacifiés, cette odeur qui agit comme une pommade sur son coeur qui bat douloureusement : cierges qui brûlent, eau bénite, pierres millénaires et humides, vapeurs d’encens, effluves de rameaux, parfum de sacré. Elle y vient aux heures où il n’y a personne, et elle s’imprègne de la paix de Dieu ; les portes closes de l’église sont un rempart au monde, asile imperméable aux malheurs et aux souffrances, si loin du temps et de ses coups. Le silence au parfum de lys blancs fait sur le corps l’effet d’un drap fraîchement lavé durant les nuits étouffantes du mois de juillet : l’apaisement. Couchée sur un des bancs de bois rude, Sigrid ferme les yeux pour sentir dans sa chair le repos de ses nerfs à vif, écorchés par cette conscience acérée de la médiocrité du monde. Les visages lisses des statues est empli de quiétude ; leurs yeux aveugles voient au-delà du monde, et rien ne peut les atteindre, et les seuls échos du dehors qui leur arrivent sont les larmes de lumières des vitraux : la vie idéalisée, l’empreinte de la foi sur les choses banales, le prisme de la croyance pure et désintéressée. Sigrid aimerait croire. Elle n’arrive pas. Toute sa volonté de croire se heurte à sa propre souffrance, comme à une barrière infranchissable. Un jour, un prêtre qui passait déposer la feuille des offices la vit, étendue sur un banc, les yeux grands ouverts et regardant, au plafond, le Christ auréolé de lumière sortir de son tombeau. 
«Avez-vous l’habitude de venir prier chaque jour à cette heure-ci ? Je crois ne vous avoir encore jamais remarqué, lui demanda-t-il d’une voix amusée et douce.
-Pas chaque jour, non, mais à cette heure-ci, oui, lui répondit-elle sans le regarder.
-Pourquoi ? Avez-vous peur du monde, des gens ?
Sigrid tressaillit et s’assit, fixant le prêtre de ses yeux de mer.
-Je ne sais pas. Je crois que oui.»
Devant cette franchise tranquille, il haussa les sourcils. Tenant toujours en ses mains la feuille des messes et le missel, il s’assit à côté d’elle.
«Vous ne devriez pas avoir peur du monde si vous avez trouvé Dieu.
-Justement, je ne l’ai pas trouvé. Je ne viens pas pour prier, je viens pour...Je viens pour me sentir mieux.
-En fuyant le monde ? chuchota-t-il dans un sourire.
-Oui, lui dit-elle, plongeant ses yeux dans les siens.
-Vous savez, si vos peurs doivent vous rattraper, elles réussiront à passer ces murs, cela ne durera qu’un temps. Dieu me protège des miennes, où que je sois. Si vous ne pouvez trouver Dieu, chercher autre chose : l’espoir est la plus grande des forces.»
Il lui posa la main sur l’épaule, doucement, presque tendrement, et il se leva, sans rien ajouter. Une goutte de lumière roula sur le visage de Sigrid.
Le prêtre avait raison. La maison de Dieu sans Dieu n’est pas une forteresse. Sigrid continue pourtant de fréquenter les églises, dans l’espoir peut-être d’y trouver quand même des réponses, d’y trouver malgré tout des réponses. Elle revient souvent dans celle où avait eu lieu cette étrange conversation avec le prêtre inconnu : elle espère le revoir, mais elle sait aussi, au fond d’elle, qu’il n’aurait rien de plus à lui dire. C’était comme un rêve : un fois terminé, il ne peut jamais revenir pour aller plus avant. Il ne reparut jamais. Trouver l’espoir avait-il dit. Sigrid, à chaque fois, devant cette phrase, se retrouve au prise avec son propre échec : elle ne trouvait pas l’espoir. Elle fait partie de ces personnes qui traversent la vie dans une douloureuse indifférence : «Rien ne m’est plus, plus ne m’est rien». Devant ce Christ qui sort de son tombeau, rayonnant de vie, espérance des hommes et du monde, Sigrid pleure doucement en enviant Marie-Madeleine qui trouva la lumière. Et lorsqu’un soir d’hiver, sombre et glacé, elle s’écroule devant une statue de Jésus, dans cette même église, c’est instinctivement qu’elle lâche ses longs cheveux d’ébène et qu’elle essuie les pieds de marbre froid, sa chevelure de soie trempée de larmes. Face contre terre, la nef se mit à tourner, et les étoiles du dallage à luire légèrement. «Tu n’es pas seule» lui chuchote une voix brumeuse. Et tout devint noir. Réveillée par un froid mordant au petit matin, les vitraux chatoyant sous l’aube, allongée sur l’autel, elle rentra chez elle en silence. Devant sa glace, le visage froissée, elle contempla une bande de ses cheveux, devenue blanche ; d’un coup de ciseau, la mèche tombe doucement sur le sol comme une plume de satin. Elle attend toujours dans la boîte à bijou de Sigrid. Pourquoi l’avoir gardée ? Pour rien. Ou pour se souvenir.
Sigrid quitte son balcon et s’allonge sur son lit ; d’un geste vif, elle attrape son bloc à dessin, et tend le bras pour arriver à prendre un fusain sur sa table de chevet. Elle dessine depuis longtemps, au fusain, toujours : la mine de plomb du crayon est trop lourd, trop dure, le pastel est trop gras, et la sanguine, trop sanguine. Le fusain est une fumée, légère et malléable : quoi de mieux qu’un peu de brume pour créer des ombres ? Sigrid dessine des portraits de gens inconnus, des visages croisées au hasard des rues et des rames de métro qui, sans qu’elle comprenne vraiment pourquoi ceux-là et pas d’autres, se sont imprimés dans sa mémoire. Ce soir, c’est une femme qui se dessine sur le papier, une très belle femme aux cheveux cendrés qui lui coulent sur les épaules comme une cascade d’eau pure ; son visage est dur, taillé dans la pierre, anguleux et pointu, et ses yeux sont deux grands saphirs froids, ils semblent les portes d’un autre monde. Sigrid se souvient l’avoir croisée, la semaine dernière, en rentrant chez elle, tard le soir : il neigeait, et cette femme, qui attendait sous la lumière d’un réverbère, seule dans le froid, ses cheveux formant un halo cristallin autour de sa tête, comme une auréole, s’était détachée dans la nuit. Etait-ce parce qu’elle était là, immobile et solitaire sous la neige en plein milieu de la nuit, ou parce qu’elle semblait être, au milieu des flocons, l’un d’entre eux, brillante et glacée ? Sigrid ne saurait le dire. Mais ses grands yeux étaient Kazan sous la neige, d’une beauté splendide. «C’est ça, je crois, qui m’a marquée» se dit-elle. Et dans le coin de la feuille, elle écrit «L’Hiver». 
La jeune fille se sent étrangement triste devant ce visage : il a un air d’ailleurs, de cet espoir qui lui échappe. Ces yeux-là ont vu. Allongée sur le dos, les iris brillant dans le noir, Sigrid laisse s’enfuir, sur le plafond de sa chambre, l’histoire imaginaire de ces yeux, de cette femme. Sur une lande enneigée, un manchon et une toque en fourrure de martre, un grand manteau noir qui file au vent, elle se tient, droite comme un «i», elle regarde la mer qui s’étend au-delà de Saint-Petersburg ; des voiles, minuscules points blancs sur l’océan gris acier, sont visibles, au loin, et sur la joue de la femme coule une seule et unique larme. Les saphirs luisent de l’étrange et bel éclat que leur donne parfois la tristesse et la souffrance. Mais elle est fière, cette femme-là, alors elle se retourne, et elle s’en va, sans pleurer plus, gardant sa douleur au fond d’elle même, roulée en boule contre son coeur, qui peu à peu deviendra noir, gangréné par la mélancolie, jusqu’à ce qu’il s’arrête de battre, définitivement, lorsque, quelques mois plus tard, on annoncera à cette femme fière que l’océan a englouti un être qui lui était cher ; mourir ? Oh, non, bien sûr que non ; le coeur s’arrête, mais la vie devra continuer, la traîner durant des années encore avec ce coeur mort au fond d’elle. Mais elle est fière, cette femme-là, et c’est avec fierté qu’elle ira se jeter dans la mer, qu’elle se laissera à son tour engloutir par les flots pour rejoindre celui qu’elle a perdu. Sigrid aimerait être une femme fière et courageuse comme elle imagine cette inconnue, qui elle aussi a perdu l’espoir. Enfin, Sigrid n’a pas perdu l’espoir : elle ne l’a jamais eu. C’est sur cette pensée que le sommeil la happe. 

Les dimanches sont de pluie et d’ennui. Sigrid se réveille avec la sensation de n’avoir pas dormi, ou d’être restée endormir pendant des siècles : c’est la même sensation de fatigue lassée. Instinctivement, elle tend la main vers sa table de chevet pour y attraper le bloc à dessin ; et comme elle s’y attend, le portrait n’est plus là, comme tous les autres. Chaque nuit, ils disparaissent, ils s’envolent, ils s’échappent, s’enfuient, s’évaporent. Oh, Sigrid a depuis longtemps arrêté de chercher à savoir pourquoi, elle n’a jamais su trouver. Elle a bien essayé de rester éveillée toute la nuit, mais le sommeil a eu raison d’elle. Alors,  plus maligne, elle laissa la webcam de son ordinateur tourner, en se disant qu’elle filmerait tout ; le matin, toute excitée, elle visionna la bande, durant de longues heures, mais cela ne fit qu’accroître le mystère, car sur la bande, le dessin n’avait pas bougé, il était présent jusqu’à la fin. On voit Sigrid se jeter hors de son lit et se diriger vers l’ordinateur, et derrière elle, on distingue le fin tracé du visage, et pourtant, il n’est plus là. La jeune fille, voyant le dessin dans la petite lucarne se l’écran, avait beau se retourner, il n’y avait plus rien. Plus rien. Elle essaya encore d’autres stratagèmes, tous plus incongrus les uns que les autres, mais rien n’y fit : les portraits disparaissaient. Sigrid n’en parla jamais à personne : quelle importance ? Son imagination lui trouvait mille et unes réponses toujours plus fantastiques, et cela lui suffisait : c’était l’un des seuls éclats qui venaient briser sa vie morne et banale, et cela valait le coup, rien que pour ça, de ne pas briser le mystère. Sûrement la vérité serait décevante. Et Sigrid ne le supporterait pas. Alors elle prenait plaisir, chaque matin, a sentir que son croquis avait disparu. «Par magie» se disait-elle. Des lutins, des fées, une faille spatio-temporelle, des extras-terrestres, n’importe quoi qui ne soit pas un rat mangeur de papier doublé d’un problème sur sa webcam. «Tout, mais pas ça, insistait-elle, je peux tout accepter, mais pas ça».

SIMILIA SIMILIBUS CURANTUR

J'ai eu peur que cet amour soit inférieur aux autres, trop précipité, trop superficiel. Je sais maintenant que je supporterais d'être seule, que s'il me quittait, je saurais me suffire à moi-même, comme l'a dit Amandine, vivre pour moi. Et pourtant, en me rendant compte de cela, je réalise aussi plus justement ce qu'il apporte à ma vie.


Avec Loïc, je m'étais dit qu'il n'y avait pas besoin d'avoir des points communs pour être ensemble.
Avec Frédéric, j'ai révisé mon jugement, et je m'étais dit que finalement, avoir plein de points communs avec son copain, c'était tout de même vachement mieux.


Et j'ai encore changé d'avis, je crois que j'ai trouvé le juste milieu.
Il n'y a pas besoin d'avoir pleins de points communs pour être ensemble et bien s'entendre ; ce n'est pas ma priorité, ce n'est pas ce qui est important pour moi. J'ai juste besoin de quelqu'un qui m'accepte, de quelqu'un qui m'aime, qui me montre qu'il tient à moi autant que je tiens à lui. J'ai juste besoin d'un amour égal, dans ses manifestations comme dans son intériorité. Et cet amour égal, il s'appelle Thibaut.


L'absence se fait longue. Il me manque. Je suis en sécurité, avec lui. Il me console, le soir, quand je pleure et que pour toute réponse à ses questions, je ne peux que balbutier "Ne pars pas". Il promet, je ne sais pas comment, mais il promet, et il me sers dans ses bras, très fort, jusqu'à ce que les larmes cessent. Merci.