Je crois que j'ai eu ce que Nietzsche appelait une expérience d'éveil, une expérience non pas d'impuissance mais de non-puissance face à la vie ; quelle différence entre impuissance et non-puissance ? L'impuissance fait de nous des êtres passifs et assimilables à un destin, engloutis en lui, et je ne crois pas au destin. La non-puissance, c'est ne pas pouvoir lutter contre la contingence de la vie : aussi faut-il l'accepter et l'apprivoiser. Et si j'invente l'opposition des deux termes, je crois que c'est bien ce que Nietzsche voulait dire. Ma rupture avec Loic fut une longue agonie de six mois, et quand ce fut fini, j'étais morte : pour cela je me suis coupé les cheveux, dans beaucoup de culture c'est un signe de deuil, signifiant qu'il y a au une rupture et que seule le temps pourra l'effacer et redonner à la chevelure leur longueur d'Avant. Mais elle ne fut vraiment expérience d'éveil que lorsque je perdis la plus grande part de l'amour de Frédéric et que la souffrance fut totale, fut la mort. Ce n'est qu'alors que je me rendis compte que je ne pouvais plus vivre de cette façon, selon ces schémas destructeurs que j'avais intégré avec peine dans une relation longue de quatre années et qui avait réduit mon corps à néant jusqu'à une sorte de neurasthénie intellectuelle. Alors oui, j'ai changé ; Frédéric m'a changée. J'apprends à ne plus m'enfouir dans ce cercle vicieux et contradictoire d'une vision du future partagée entre idéalisation -espoirs monumentaux- et angoisse -spleen, canapé bleu marine-, les deux extrêmes qui ne peuvent s'entendre et déchirent l'âme, puisqu'aucun de l'emporte sur l'autre et ne rassure donc. Je change : la couleur de me cheveux, mon attitude envers les autres, ma capacité à prendre des risques, ma façon de voir ma relation amoureuse. La vie, dangereuse et incertaine, je décide qu'elle me plaît comme elle est ; c'est l'éveil à tout ce qui est profondément inutile et tout ce qui est essentiel, l'éveil philosophique en quelque sorte, et Epicure serait fier de moi. Maintenant, je ne veux que faire confiance à l'avenir, le laisser venir, avec toute l'instabilité que la notion même de futur contient : παντα ρει disait Héraclite. Je vais reprendre le piano, autant que je peux en le faisant seule, et je vais aller voir un psychiatre pour synthétiser, parler de mes cauchemars et de mes nouveaux articles philosophiques nés après lecture de Philosophie Magazine, et peut-être abattre les derniers -et non les moindres- de mes blocages. Et si, après quelques verres désormais je lui dis que je veux croire qu'il va se rendre compte, que tout peut changer, PEUT, pas doit mais PEUT, et cet espoir suffit, si petit et contingent qu'il soit, c'est justement parce que j'ai envie d'y croire, d'arrêter d'osciller entre niaises espérances et angoisse de la déception. Alors je te dis, puisque tu liras cela : viens dans mes bras, viens me faire un câlin, dis-moi juste que tu es bien comme je le suis et que tant que ce calcul peut se faire, alors ça continuera. That's all I want, can you give it to me ? Je crois que oui, alors faisons ça, cela me plaît.
EVEIL.
1 commentaire:
Nietzsche est décidément génial. Je relis "Lire et écrire" dans Zarathoustra régulièrement, c'est un bon axe de vie.
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