vendredi 5 février 2010

"That tonight gonna be a good night"

Hier soir la vie était belle, dans le ciel fermé de la Salamandre. Hier soir j'étais avec Frédéric.
Petite je l'aimais, je l'admirais, je voulais être lui, dans ma tête je me disais tout bas : "Un jour, je me marierais avec Frédéric", comme j'aurais dit : "Un jour, je me marierais avec Papa". J'ai des souvenirs amalgamés de lui pourtant, je ne distingue rien dans le brouillard du sentiment enfantin. Un seul véritable instant m'est resté : un jour, chez Mémé, je le suppliais de refaire une partie de Rummikube avec moi, et il acceptait, parce qu'il aimait ce jeu je crois, et surtout parce qu'il savait qu'il gagnait toujours. 

Je l'aimais, pas comme une amoureuse, je l'aimais comme une petite fille, je l'aime toujours comme une petite fille. Et puis on ne s'est plus vu, ces six années, je ne dirais pas longues, car l'affection s'est fanée comme des braises : je demandais pourquoi il ne venait plus. Maman me répondait : "Tu sais ils habitent Strasbourg, ça fait loin de venir ici, et puis Frédéric va aussi en classe, il a des devoirs et d'autres choses à faire". Une légère moue déçue et je retournais jouer. Et aujourd'hui, je me rends compte qu'il m'a manqué, ces six années : près de lui je redeviens la Noémie de dix ans qui veut s'assoir à côté de lui à table pendant la fête de famille, même si je parle d'avenir, de faire l'amour, d'alcool, de danse et plus de Star Wars, de jeu du loup et de cache-cache. Hier je lui ai planté un baiser sur la joue, instinctivement, intuitivement, sans arrière-pensée, juste parce que j'en avais envie : à son regard étonné, il n'a pas compris je crois. J'aurais voulu, à chaque instant, lui sauter au cou et lui dire "Je suis tellement, tellement contente, sans savoir pourquoi, juste parce que tu es là, je suis tellement contente".

Il me dit ce matin qu'il s'est amusé, que c'était bien, qu'il a aimé mes amies, que la prochaine fois ce sera lui qui m'invitera. J'avais peur qu'il n'accepte de venir qu'à cause de cette condescendance qui ressemble à une obligation morale de venir voir quelqu'un que l'on a pas vu depuis longtemps, parce qu'aujourd'hui, il est là. Au début, il est un peu gêné, au milieu de six hypokhâgneuses qui font des blagues sur les tribuns de la plèbe en criant "Veto !" dès que l'un d'elles dit une bêtise (l'histoire ancienne de Rome est une discipline très prenante), il ne parle pas beaucoup et se demande sûrement où est-ce qu'il est tombé. Les minutes passent et son sourire s'étend, même quand Juliane se moque des sciences historiques. Et quand il danse, son visage est sérieux, très sérieux, et je ne peux m'empêcher de sourire, de rire quand je le vois, dansant comme si sa vie en dépendait, alors il me voit et c'est là que le sourire éclôt sur ses lèvres et que ses yeux brillent. Il me prend la main, me fait tourner, danse avec moi, et j'ai tellement envie de rire, de ce rire qu'on les enfants quand ils s'amusent. Je l'aurais bien embrassé, juste comme ça, pour rien, pour voir.

Il ne comprends pas, je crois. Il est le grand frère que je n'ai pas eu : "C'est d'un cliché" dirait C., de cette voix que je déteste. Et pourtant c'est vrai. Les plus jeunes auraient toujours aimé être à la place des aînés, mais l'inverse est vrai aussi. J'aurais aimé avoir un grand frère, et j'aurais aimé qu'il s'appelle Frédéric. Maintenant, j'ai envie de pleurer, tout ça, sans savoir pourquoi. Voilà à quoi je pense lorsque je marche sur le quai des Bateliers pour rentrer chez moi, trempée parce qu'il pleut et que je n'ai pas de parapluie. Mais je ne suis pas triste, parce que hier soir, la vie était belle, et qu'il n'y a pas de raison qu'elle ne le soit pas aujourd'hui ni demain.

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