vendredi 13 avril 2012

La sauge des devins ou la métaphysique de l'orchidée

Dans deux mois je laisse derrière moi cette appartement où j'ai accumulé trop de souvenirs ; si ce n'étaient que des bons. J'ai brûlé les lettres, j'ai effacé les photos, les messages, les mails, j'ai rendu ce que je devais rendre, j'ai rendu à César ce qui était à César, sans mélancolie, sans même un tressautement : au moment où l'objet disparaît -non pas oublié, mais véritablement détruit ou dégagé-, les fils se brisent, les artères se détendent, les neurones aussi. La glande surrénale boude, elle aurait espéré un peu plus d'excitation, de palpitation, de nervosité envers ses gestes irréparables. Le seul lien qui me rattache encore à tout ça -TOUT CA, parce que oui, c'était quand même quelque chose-, c'est cet appartement, ces murs. Le faux parquet se gondole du flot de ma noirceur, il se nécrose, les plinthes se détachent : il est temps de partir.

Mon orchidée était en train de mourir. Ce n'était plus qu'un amas de tiges vertes et un peu desséchées, de racines et de terre. Et un jour, je l'ai changée de place : elle se retrouva quelques dizaines de centimètres plus loin, près de mon velux, et le lendemain j'ai eu la surprise de voir qu'un bourgeon s'était formé. Alors, comme l'orchidée, je me déplace, je laisse tout derrière moi, à des inconnus qui ne sauront pas lire les vapeurs qui flottent dans l'air, car elles ne voudront rien dire pour eux.

C'est à quatre que le nouveau départ se fait ; tout est si neuf, si brillant, comme une belle pomme rouge -une Royal Gala- qu'un gentleman anglais aurait frotté sur le revers de sa veste en velours noir. Une enfant, je suis une enfant : je voudrais déjà prendre possession de ce nouvel appartement, y placer tous nos meubles, aller faire les premières grosses courses ensemble, installer la décoration, bâtir quelque chose de nouveau. Je prépare déjà notre premier repas de crémaillère, à tous les quatre ; je sais qu'on achètera du vin, je sais qu'on fumera, qu'on regardera la télé d'un œil en discutant de tout à fait autre chose. En somme, on vivra le présent, et c'est déjà bien assez dur. Pour le reste, il y a la sauge des devins.

1 commentaire:

Shirley a dit…

Les histoires d'orchidées... qui me fascinent.